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LE MASSACRE DE LACHINE

plice. Mais ce devoir ne me plaît guère, et j’aimerais mieux voir le Serpent à ta place ; il me répugne de garder un brave comme toi.

— Mais pourquoi me conduit-on si matin au supplice ? Ce n’est pas l’heure où les Abénaquis mettent généralement leurs prisonniers à mort.

— L’armée part de bonne heure demain pour aller combattre les Iroquois, et c’est pour cela, je suppose, que ton supplice aura lieu si matin.

— Ainsi soit-il ; mais puisque je dois mourir de si bonne heure, il est temps que je commence à dormir. En disant ces mots, le prisonnier s’étendit à terre, au centre de la cellule, les pieds tournés du côté de la grille.

Au bout de quelques minutes, il commença à ronfler, et la sentinelle en conclut qu’il était profondément endormi. Mais le Huron ne dormait pas et sans être aperçu du factionnaire, il tourna les pieds du côté de celui-ci. À mesure que l’heure avançait, le prisonnier s’aperçut, avec bonheur, que la lanterne baissait de plus en plus, et que le factionnaire, plein de sécurité, s’était assis près de sa lanterne. Bientôt le Huron constata que son gardien dormait profondément, et, se levant avec rapidité, il se jeta sur lui. Le soldat n’avait pas eu le temps de crier qu’il sentit une des mains du Huron sur sa gorge et l’autre sur sa bouche. Bâillonner et garrotter le soldat fut l’affaire de quelques minutes. Le prisonnier s’empara ensuite du mousquet ; cela fait, il éteignit la lanterne. Le factionnaire se roulait à terre croyant recevoir, d’un moment à l’autre, son coup de mort. Mais le Huron le rassura en lui affirmant qu’il ne lui ferait aucune violence.

Enfin, à sa grande satisfaction, le prisonnier aperçut une brillante lumière rouge par la lucarne de sa cellule. Il comprit qu’une main amie venait de mettre le feu aux huttes des Abénaquis — il comprit que le secours n’était pas éloigné, et il alla se mettre debout près de la grille.

Son attente ne fut pas longue. Bientôt son oreille exercée discerna les murmures de voix humaines. Au bout de quelques instants, un tomahawk attaché au bout d’une corde lui était envoyé dans la cellule. Le prisonnier mit cette arme à sa ceinture et prenant le mousquet du factionnaire, il se hissa, au moyen de la corde, jusqu’au niveau de la grille. Des voix amies l’encourageaient du dehors au moment où il saisit la barre centrale de la grille et chercha à l’ébranler. Par malheur la barre tint ferme. Il aurait pu l’enlever de quelques coups de tomahawk, mais le bruit aurait été entendu des soldats du poste, qui ne se trouvait qu’à vingt verges de la cellule. Alors se servant du mousquet, comme d’un levier, il enleva la barre de fer. Par malheur, le fusil partit au moment où la barre tombait, et la détonation fut entendue de la garde. Mais le Huron avait déjà franchi la grille et disparaissait, avec ses amis, par le passage que ces derniers avaient pratiqué sous la palissade. L’officier de service, cette nuit-là, n’était autre que le lieut. de Belmont. En entendant le coup de feu, il s’était élancé dans la cellule, soupçonnant bien qu’il s’y passait quelque chose d’extraordinaire. Il trouva, en effet, la sentinelle bâillonnée et garrottée, et le Huron avait disparu. Sans prendre le temps de délivrer le soldat, de Belmont sortit, et examina rapidement la palissade. Il découvrit le passage pratiqué en dessous et s’élança immédiatement, par ce passage, dans la direction où il entendait le claquement des branches. Il continua sa course jusqu’en vue du lac. Là, il s’arrêta pour écouter. Mais à peine commençait-il à prendre sa respiration qu’il fut saisi en arrière par quatre hommes vigoureux qui l’entraînèrent jusqu’au bord du lac. Quelques instants plus tard, il était dans un canot, la dernière de cinq embarcations pareilles qui voguaient rapidement sur le lac Ontario, laissant bien loin en arrière le Fort Cataraqui. Dans le canot où il se trouvait lui-même, il reconnut trois personnes : Kandiarak, Isanta et Tambour.


CHAPITRE VIII

LE COMBAT


L’évasion du prisonnier huron et l’incendie d’une partie du camp des Abénaquis portèrent à son comble l’indignation du Serpent et de sa tribu. D’autre part, les Français étaient tout mystifiés de la disparition du lieut. de Belmont avec Isanta et Tambour. La première impression fut que de Belmont et Isanta avaient été massacrés par l’Iroquois ; car le lieut. Vruze eut bien soin de maintenir que le prisonnier était un espion iroquois.

Mais deux personnes, plus que toutes les autres, s’étaient émues des