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LE MASSACRE DE LACHINE

dans les bras de son frère. Dix ans de séparation furent oubliés dans cette étreinte d’un moment.

Ce fut Isanta qui prit la parole.

« Frère, dit-elle d’une voix tremblante d’émotion, je suis venu pour te délivrer.

— Ma sœur est-elle folle ? Elle devrait connaître la nature du Serpent.

— Je ne suis point folle. Il y a une heure, le Serpent m’a promis qu’il épargnerait ta vie.

— Ne le crois pas ; il a menti.

— Mais il peut dire vrai, cette fois.

— Les dents du loup s’émoussent à mesure qu’il vieillit, mais il demeure toujours féroce. Le Serpent aurait-il appris à dire la vérité en vieillissant ?

— Le loup ne peut-il pas changer sa proie pour une autre ?

— C’est possible ; mais la faim se faisant sentir, il mangera la première, ou, dans sa colère, il la tuera. Ainsi agira le Serpent.

— Mais quelqu’un doit le croire, et je serai cette personne. Ne nous inquiétons pas des dangers à venir et sachons écarter le danger présent.

— Que veut dire Isanta ? A-t-elle fait quelque marché avec celui qui a tué nos parents en l’absence de son frère et nos guerriers ? A-t-elle oublié qu’il l’a emmenée elle-même loin de notre tribu et l’a abandonnée parmi les étrangers ?


CE FUT L’AFFAIRE DE QUELQUES MINUTES.

— Je savais tout cela quand j’ai fait le marché ; c’était une rude épreuve, plus terrible que la mort. Mais j’ai pensé à toi, mon frère, et je me suis soumise.

— Quoi donc ?

— Tu seras mis en liberté à condition que je devienne la femme du Serpent.

— Jamais ! s’écria le chef huron d’une voix étouffée. Sœur de Kandiarak, c’est surtout pour toi que je suis venu ici ; mais je souffrirais plutôt mille morts que te voir unie au Serpent. Qu’il agisse comme il voudra, il ne tirera pas un soupir de Kandiarak si ma sœur promet de ne jamais devenir sa femme. Ma vie et celle de cent de mes guerriers ne vaudraient pas un pareil sacrifice !

— Songe aux tourments que le Serpent peut t’infliger ; songe au bien-être de ta tribu ; songe aux batailles que tu as gagnées, aux honneurs que tu pourras encore mériter, mais ne songe pas à moi. Qu’importe ma vie à notre tribu ? Mais si tu meurs, elle périra aussi. Vis donc, et illustre-toi encore. Parmi les Hurons, il y a plus de femmes