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LE MASSACRE DE LACHINE

— Nul doute, et je puis justifier ma conduite en toute circonstance. Ma conscience est mon juge, et elle me dit assez que je n’ai jamais rien fait pour me compromettre dans mes relations avec Mlle  Julie du Châtelet.

— Je ne me trompais pas beaucoup en disant que le lieut. de Belmont ferait un excellent avocat.

— Si Mlle  du Châtelet veut dire que je vise à l’équivoque, reprit de Belmont, ne pouvant plus supporter ces sarcasmes, je vais me voir forcé de prendre congé d’elle. »

Julie, fixant le jeune homme, s’aperçut qu’elle avait poussé la plaisanterie trop loin. Après quelques instants de silence, elle reprit d’un ton nonchalant :

« Lieut. de Belmont, je vous félicite de votre conquête ; Isanta est devenue amoureuse de vous. »

Le jeune homme ne pouvant comprendre si Julie battait en retraite en donnant à la conversation le ton de la plaisanterie, comme c’était sa coutume, ou si elle était réellement sérieuse, reprit d’un air étonné :

« Qui vous a dit cela ? »

— Je le sais de bonne source, répondit Julie.

— Eh bien ! si elle est devenue amoureuse de moi, j’en suis fâché pour elle ; mais ce n’est pas ma faute.

— Vous faites peu de cas de l’affection d’une femme, paraît-il. Vous m’en avez dit assez pour me faire comprendre que si toute autre femme devenait amoureuse de vous, la chose vous semblerait toute naturelle.

— Vous me jugez bien mal, mademoiselle, reprit de Belmont profondément mortifié.

— Voyons, dit Mlle  du Châtelet, d’un ton péremptoire, avouez que vous avez joué double jeu.

— Je ne ferai jamais pareil aveu, répondit de Belmont d’une voix ferme.

— C’est-à-dire que, mis au pied du mur, vous avez peur d’admettre que tout en me faisant croire que j’étais l’objet de vos vœux, vous cherchiez à duper Isanta, en lui faisant des promesses que vous saviez ne jamais tenir.

— Je nie avoir jamais agi de la manière que vous me dites à l’égard d’Isanta, dit de Belmont dont la rougeur animait le visage. Je nie également avoir jamais parlé à Isanta de manière à lui donner de pareilles idées. Telle est ma dénégation. Maintenant, quelles sont vos preuves ?

— Je ne vous les donnerai pas.

— Mais alors, acceptez-vous ma dénégation ?

— Je répondrai plus tard ; je ne le dois pas faire maintenant.

— En d’autres termes, vous refusez d’accepter la dénégation formelle que j’oppose aux insinuations que vous faites contre moi ? reprit de Belmont d’une voix tremblante.

— Je ne cède ni aux menaces ni à la violence, dit Julie se levant avec fierté et parlant avec la plus ferme assurance. Le lieut. de Belmont a pu rencontrer d’autres femmes crédules, mais il ne me fera pas accepter une déclaration contraire à tout ce que j’ai pu constater.

— Assez, dit de Belmont n’y tenant plus ; je ne perdrai pas mon temps à combattre les rêves de la jalousie. J’ai l’honneur de saluer Mlle  du Châtelet ! »

À ces mots, le jeune homme sortit précipitamment.

Un instant après, Julie du Châtelet, qui venait de soutenir cette longue lutte contre son cœur et contre les nobles instincts de sa nature, Julie du Châtelet fondait en larmes.


CHAPITRE VII

REFUS DU SACRIFICE. — LUTTE POUR LA LIBERTÉ


Peu de temps après le départ de Tambour, Isanta se rendit au poste du Fort et demanda à voir le prisonnier qui avait subi l’épreuve du matin. Comme Julie et elle avaient l’habitude de visiter les prisonniers pour leur porter des secours charitables, la permission lui fut immédiatement accordée. On la fit entrer dans une petite chambre carrée, éclairée seulement par une grille placée à environ dix pieds du sol. Aucun meuble dans cette cellule, faite de madriers bruts ; pas même une paillasse sur le sol. L’œil de la jeune fille, habitué à la lumière du dehors, ne put d’abord rien distinguer. Mais avant que ses yeux eussent pu s’accoutumer à l’obscurité de la cellule et découvrir où se tenait le prisonnier, un œil plus prompt que le sien l’avait reconnue et sitôt qu’elle entendit prononcer le nom d’« Isanta », elle se jeta