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LE MASSACRE DE LACHINE

que le Serpent et peut délivrer le Rat tout de suite. Le gouverneur est humain, mais le Serpent n’a jamais montré de pitié.

— Je dis à la sœur du chef huron qu’il est trop tard pour sauver son frère. Ce matin, il a tué Pied-de-Daim, le meilleur coureur de notre tribu. Le gouverneur a été très fâché d’apprendre sa mort, car il devait l’envoyer, au lever du soleil, pour espionner les Iroquois. Il n’y a pas plus d’une heure que le marquis a dit à M. de Callières, qui demandait sa grâce, que le prisonnier m’appartenait ».

Isanta frémit à ces paroles, mais elle reprit :

« Qui a conté cette histoire au Serpent ?

— Quelqu’un de bien informé ; un homme qui sait que vous le haïssez et sera content de vous voir souffrir pour votre frère.

— Est-ce le lieut. Vruze qui vous a dit cela ?

— Vous l’avez deviné. L’ami du Serpent, le lieut. Vruze m’a dit cela un instant avant votre arrivée.

— Une belle paire d’amis, observa Tambour, Satan et son héritier présomptif !

— Silence, dit Isanta, vous allez tout compromettre !

— Et maintenant, reprit le Serpent, qui a dit à Isanta que son frère avait été fait prisonnier hier ?

Avant que la Huronne pût répondre, Tambour interrompit :

— Je lui ai dit.

— Et pourquoi l’homme blanc se mêle-t-il de ses affaires ? demanda le Serpent d’un ton courroucé. A-t-il été repoussé par ses femmes qu’il cherche à se rapprocher de l’enfant de la forêt ? »

Le Français, bouillant de colère, s’écria d’une voix terrible :

« Le choix de l’homme blanc est libre. Mais il n’en est pas ainsi du Serpent. Le Serpent n’a pas d’épouse parce que les femmes de sa tribu ne veulent pas s’associer à celui qui ne peut montrer que des chevelures de femmes et d’enfants hurons. »

Le Serpent resta comme intimidé sous le fier regard de Tambour ; mais il ne manqua pas de s’apercevoir que celui-ci avait à moitié tiré son épée du fourreau, comme pour se préparer à tout événement. Les guerriers abénaquis et leur chef regardèrent Tambour avec une sorte de terreur. Le Serpent savait, en outre, que Tambour maniait parfaitement les armes ; il se souvenait que, pour débarrasser Isanta de ses attentions, Tambour lui avait arraché son tomahawk et lui aurait passé son épée à travers le corps, s’il n’eût pas pris la fuite.

Après une pause de quelques instants, le Serpent reprit :

« Je demanderai encore à la sœur du Huron pourquoi elle est venue au wigwam du chef des Abénaquis ? »

— Pour sauver la vie de son frère.

— C’est beaucoup demander. Mais le Serpent peut le sauver ; bien que le gouverneur, sans le consentement du Serpent, ne puisse pas le sauver.

— Le gouverneur n’est pas un Abénaquis, il est humain.

— Le gouverneur n’est pas fou. Il a besoin des Abénaquis, quand même ils seraient cinq fois plus nombreux, pour combattre les Iroquois. S’il met votre frère en liberté malgré moi, les Abénaquis ne l’aideront pas à combattre les Iroquois. Mais si je disais au gouverneur : « Je pardonne au prisonnier la mort de mes deux guerriers, et le coup qu’il m’a donné en pleine poitrine », votre frère serait immédiatement libre et irait rejoindre les siens.

— Et quelle rançon demande le chef des Abénaquis pour la vie de mon frère ? demanda la Huronne.

— Quelle rançon donnera sa sœur ?

— Écoutez-moi, interrompit Tambour, avant que la jeune fille eût le temps de répondre. — Serpent, dit-il, en prenant le ton de la conciliation, vous êtes un grand chef : l’Iroquois tremble à votre nom ; votre réputation s’étend des bords de la mer aux régions du couchant. Mais il vous faudrait l’uniforme d’un guerrier blanc pour paraître plus terrible à vos ennemis. Nous sommes tous les deux à peu près de la même taille. J’ai un uniforme que je n’ai porté qu’une seule fois et cela en présence de notre grand-père le roi de France. Il est superbe, tout couvert de broderies d’or ; avec cela vous auriez l’apparence du grand chef des guerriers blancs ; cet uniforme éblouirait vos ennemis et charmerait les yeux de vos amis ; la femme qui vous haïssait hier vous aimerait demain. Je vous donnerai cet uniforme si vous voulez libérer le chef huron. Je vous donnerai, en outre, une épée à poignée d’argent et cent louis d’or. Je vous indiquerai enfin la recette de la médecine qui fait friser les cheveux, et, à l’aide de cette médecine, vous serez le plus beau des chefs du Canada. Maintenant, Serpent, soyez sage. Acceptez ces présents pour lesquels les autres chefs donneraient leur main