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LA CEINTURE FLÉCHÉE

allait lui donner l’occasion d’étudier le vieillard aux allures si intrigantes.

— Alors disons que vous viendrez ici après-demain. Mais pas un mot de cela à personne ! Je compte sur vous pour garder le secret le plus absolu.

Le vieillard se leva et sortit de sous la table une boîte métallique. Il prit un billet de $50 dans la boîte :

— Tiens, dit-il, voici pour vous. Je sais que la langue va vous démanger. Je vous donne ça pour apaiser la souffrance. Rappelez-vous le billet quand vous aurez trop envie de parler.

Jérôme se dit :

— Je serais bien bête de refuser. Ça ressemble diablement à une tentative de corruption. Mais le vieux n’est accusé d’aucun crime enfin !

La pièce où ils se trouvaient était meublée comme la plupart des camps de chantiers. Cependant elle était d’une impeccable propreté. Il y avait au milieu une table brute et des chaises faites de branches d’arbres. Sur la table, des assiettes, des soucoupes, des bols, des ustensiles généraux de cuisine ; dans un coin, un petit poêle dont le vieillard devait se servir pour faire cuire sa nourriture. Aux murs, deux calendriers, un crucifix de prix, une carte géographique du comté de Rimouski et une tête de chevreuil.

Le vieillard était un grand nemrod. Il adorait les histoires de chasse. Jérôme en connaissait un « saccage », comme il disait, Il se mit donc à en raconter avec sa verve habituelle. Le temps passait et le guide ne s’en apercevait pas.

À la fin, un commencement d’intimité commença à s’établir entre les deux hommes :

— Dites-moi donc, monsieur, fit Jérôme, quelle idée vous a poussé à venir vous établir ici à cette saison de l’année. L’hiver est bien ennuyant à la campagne. C’est alors que l’on apprécie toutes les commodités des villes. Vous, vous choisissez ce temps pour habiter les bois. Je me demande ce qu’il y a au fond de ça.

Jérôme s’aperçut trop tard qu’il avait fait une gaffe.

Immédiatement la physionomie du vieillard se rembrunit :

— Jérôme, dit-il, si vous voulez que nous demeurions amis, ne me posez jamais de telles questions. C’est un grand secret que Dieu et moi seuls connaissons.

Le guide regarda l’heure et sursauta :

— Déjà 8 heures et demie. Je vais certainement perdre quatre ou cinq « traites » de whiskey. Je vais à une veillée, vous comprenez ; et déjà je suis trop en retard. Il me faut fuir.

Le vieillard sourit :

— Vous ne perdrez pas ces traites, dit-il ; je m’en vais vous les offrir.

Il tira d’une valise une bouteille de « Scotch » et lui en versa un grand verre que Jérôme dégusta avec une satisfaction visible.

Le vieux mit son casque et s’entoura la taille d’une ceinture fléchée qu’il attacha avec un soin particulier. Puis ils sortirent tous deux.

Le vieillard s’extasia devant les deux élégants chevreuils attelés à la traîne sauvage :

— C’est la première fois de ma vie que je vois un attelage aussi original, dit-il.

Puis il questionna :

— Comment avez-vous pu réussir à dompter des animaux d’une nature aussi farouche et peureuse ?

— Oh ! avec de la patience on arrive à tout. J’ai mes deux chevreuils depuis trois ans. Ils me rendent d’inappréciables services. Leur seul défaut, c’est qu’ils ont les reins trop faibles pour tirer un poids trop lourd. Mais quand la traîne n’est pas trop chargée, ils filent comme le vent.

Jérôme prit congé du vieillard et ils se donnèrent rendez-vous à la maisonnette pour le matin du surlendemain.

— Allons, Cerf-Volant, Pommette, en avant, hope-là ! Décollez-vous ! Vite, qu’il reste du whiskey quand j’arriverai !

En route Jérôme se demandait : Qui peut bien être cet homme et que peut-il venir faire dans cette forêt en hiver ?

CHAPITRE III

LA VEILLÉE DE LA SAINTE-CATHERINE


Quand Jérôme Fiola pénétra dans la maison où avait lieu la veillée de la Sainte-Catherine, la plus grande animation y régnait. Un violoneux jouait avec furie et étouffait du martellement de son pied le