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LA CEINTURE FLÉCHÉE

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Madame Paquin quand il lui avait dit qu’il aimait sa fille avait déconcerté la bonne mère.

Il lui avait demandé la permission d’avouer son amour à Alice. Madame Paquin lui avait demandé une journée pour réfléchir.

Cette journée était écoulée ; et maintenant Jacques, profitant d’une sortie de la jeune fille, demanda à Madame Paquin, la voix un peu tremblante d’émotion :

— J’espère que votre réponse est favorable.

La mère semblait troublée :

— Monsieur Martial, dit-elle, vous offrez à ma fille les meilleures garanties de bonheur. D’ailleurs, après avoir observé Alice, je crois pouvoir vous dire que celle-ci vous aime déjà inconsciemment et beaucoup. Je n’ai aucune objection à ce mariage. Mais il faut que je vous raconte mon passé. Après cela, peut-être aurez-vous des objections vous-même.

Jacques répliqua avec empressement :

— Madame, je n’ai jamais construit mes opinions sur les cancans. Je sais qu’on a eu des mauvaises paroles sur vous. Mais le curé a fait taire les méchantes langues.

— Notre curé est si bon ! Mais ce n’est pas assez, il faut que je vous parle ; il faut que vous m’écoutiez.

Elle commença :

— J’étais jeune ; j’avais 22 ans. Depuis près de deux ans, j’étais mariée à un jeune homme auquel on promettait un avenir brillant. Nous demeurions à la Rivière-du-Loup. Mon mari et moi, nous nous aimions jusqu’à l’adoration. Une petite fille, Alice, naquit et elle cimenta encore davantage notre union. Mais mon mari avait des ennemis qu’il s’était faits en affaires, des ennemis implacables. Ils cherchèrent son point faible et le trouvèrent : c’était moi. Alors ils se mirent à répandre toutes sortes de calomnies sur mon compte. Ils osèrent même dire que je trompais mon mari, et nommèrent comme mon amant son associé, à lui.

Madame Paquin éclata en sanglots :

— Oh ! dit-elle d’une voix entrecoupée, je ne puis me rappeler toutes ces horribles choses sans pleurer.

Jacques voulut la consoler.

— Laissez, dit-elle, laissez.

Puis :

— Mon mari reçut des lettres anonymes dénonçant ma conduite. J’étais pure, monsieur Jacques, honnête comme ma petite Alice. Mon mari se garda bien de me montrer les lettres. Il avait un caractère facilement jaloux. Il m’observa. Moi, j’étais gentille, comme je croyais qu’il était de mon devoir de l’être, avec son associé. Il crut que les intentions que je lui donnais avaient une signification méchante. Un soir, oh ! quel soir terrible ! Mon mari ayant oublié un document à la maison, son associé vint le chercher. Je savais que ce document était dans la chambre. J’y entrai ; l’homme me suivit bien innocemment. À ce moment mon mari arriva en coup de vent, terrible, épouvantable à voir. Il ignorait que si son associé était dans la chambre, c’était qu’il était venu chercher le document. Il me traita comme la dernière des dernières. Il me menaça de la séparation de corps. Il jura qu’il allait m’arracher ma petite fille. Mon Dieu ! Mon Dieu !

De nouveau, Madame Paquin sanglota.

— Vous ne connaissez pas le cœur d’une mère, Monsieur Jacques. Quand il m’a dit qu’il allait me séparer de mon enfant, mon cœur se broya, mes entrailles se déchirèrent. Je pris une résolution, celle de fuir, de fuir de suite. Pendant la nuit, je courus au coffre-fort et je pris toute ma fortune personnelle qui se trouvait en actions et en obligations et je me sauvai sur le premier train, à Rimouski. Depuis lors, je demeure ici dans cette petite maison.

Il y eut un silence…

Madame Paquin termina :

— J’ai voulu vous raconter cela, monsieur Jacques, afin que vous jugiez. Si vous croyez qu’Alice est déshonorée…

Jacques interrompit la mère précipitamment :

— Vous êtes une sainte femme ! madame Paquin, s’écria-t-il.

Puis :

— Ainsi, vous m’accordez la main de votre fille ?

La mère eut un sourire radieux à travers ses dernières larmes :

— Oui, dit-elle.

Mam’zelle Alice entrait à ce moment.

Jacques lui demanda tendrement, mais à brûle-pourpoint tout de même :

— Donc, c’est décidé, nous nous marions tous deux lundi prochain, n’est-ce pas ?

Puis il s’approcha d’elle, devant sa mère et la baisa sur les lèvres.

La jeune fille pâlit, éclata en sanglots puis réfugia sa tête sur la poitrine de Jacques.

Puis il s’approcha d’elle et la baisa sur les lèvres…