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LA CEINTURE FLÉCHÉE

— Solennellement ?

— Sur l’amour que j’ai pour elle ?

— Vous l’aimez ?

— Oui.

— D’amour ?

— Oui.

— Vous voulez la marier ?

— Oui.

Madame Paquin poussa un grand cri et perdit connaissance.



CHAPITRE XV

ON GARDERA LE SECRET SI…


La famille Lepage était plongée dans la plus grande perturbation.

Albert Mainville, le détective de la Rivière-du-Loup qui était allé chez Jérôme Fiola en l’absence de ce dernier, venait de leur rendre visite. Il leur avait posé des questions qui avaient intrigué les paysans par leur mystère. Il leur avait posé des questions sur le vieillard mystérieux, sur l’autre, l’homme au chapeau dur, le dit Onésiphore Ouellette qui était ou se faisait passer pour détective.

La mère Lepage avait peur et faisait peur aux autres membres de la famille.

On craignait que toute cette histoire ne cause des troubles sans nombre.

Enfin, le père Lepage, après avoir solennellement craché par terre, parla pour la première fois, après avoir assisté en témoin muet à toute la scène précédente :

— Toi, la mère, dit-il, tu jases, tu jases, tu dis que tu as peur qu’on se fasse mettre en prison ; tu déclares que le mystérieux vieillard est peut-être un criminel, un bandit et que le détective Mainville est sans doute à sa recherche. C’est bien beau tout ça. Mais quand nous avons bâti la maisonnette en bois rond du vieux, il nous a bien payés, si bien payés que nous pourrions nous exempter d’aller dans les chantiers cet hiver et vivre grassement avec l’argent qu’il nous a donné jusqu’à la récolte prochaine. Écoutez, les gars, moi, j’entends dur, nous avons fait une promesse solennelle au vieillard. Toi Gédéon, mon fils, tu as de bonnes oreilles, répète-nous ce que le vieux nous a demandé.

Gédéon se recueillit quelques instants :

— Nous étions tous ici, dans cette pièce, dit-il. Le vieillard était assis là, tiens ! (Il désignait une chaise inoccupée près du poêle de cuisine.) Il nous a dit : « Est-ce que je puis compter sur vous comme sur des gens foncièrement honnêtes en qui je peux me fier absolument ? » Le père a répondu : « Monsieur, parcourez tous les rangs depuis Rimouski et Sainte-Blandine jusqu’à Saint-Anaclet et Saint-Marcelin, arrêtez à toutes les maisons et demandez si le père Lepage est un honnête homme. Vous verrez ce qu’on vous répondra ! On vous dira, monsieur, que jamais le père Lepage n’a même fait mal à une mouche. Ça vaut quelque chose, monsieur, une réputation comme ça dans une région comme la nôtre, où tout le monde critique son voisin. »

— Oui, c’est bien ça que je lui ai dit, opina le père Lepage.

Gédéon poursuivit :

— Le vieux alors a dit au père : « Écoutez, monsieur Lepage, je voudrais faire construire une maisonnette en bois rond dans la forêt. Je vais vous donner $600 si vous voulez entreprendre le « job ». Mais j’exigerai en même temps de vous une promesse formelle, une promesse excessivement importante, qu’il faudra que vous teniez à tout prix : celle de ne jamais dévoiler à âme qui vive, ni demain ni dans dix ans ni dans vingt ans l’endroit où sera située cette maisonnette. J’exigerai plus de vous : il faudra que vous gardiez le secret le plus absolu sur mon existence même. Si quelqu’un vous parle de moi, n’importe qui, fût-ce le roi d’Angleterre, dites-lui que vous ne savez rien. Dans ces conditions, êtes-vous prêt à construire ma maison ? »

— C’est alors que je demandai au vieillard, interrompit le père Lepage : « Nous assurez-vous, monsieur, que vous n’avez jamais commis de mal dans votre vie et que le secret que vous nous demandez de garder ne dérobera pas à la justice un crime accompli ? »

Gédéon déclara :

— Le vieillard vous répondit, père : « Je vous jure que j’ai toujours été et que je suis honnête homme. Sur ma parole d’honneur, le secret que je vous demande est en même temps une bonne action ». C’est alors que nous tous, en bloc, nous promîmes au vieux de ne jamais dire un mot qui serait de nature à révéler l’endroit où il demeure ou à faire savoir à des étrangers qu’il est dans la région. Est-ce que j’ai bien parlé, mon père ?

— Oui, mon fils, c’est ça, c’est exacte-