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LA CEINTURE FLÉCHÉE

— Essaye de défricher ça, toi, la mère. Moi, j’en suis incapable.

Madame Fiola tourna et retourna l’insigne en tous les sens. Enfin elle dit :

— Ce n’est marqué nulle part « détective ». Ça m’a plutôt l’air d’être un insigne de franc-maçon comme les chasseurs américains en portent.

Jérôme éclata :

— Ah ! vous êtes venu ici pour nous blaguer. Vous n’avez pas de mandat d’arrestation ; vous n’êtes même pas détective, et vous venez ici pour nous en imposer. C’est un peu fort ! Sortez.

Le guide accompagna son dernier mot d’un geste qui voulait dire de déguerpir au plus tôt sinon que son pied allait se loger quelque part.

Onésiphore Ouellette ne se le fit pas dire deux fois. Il saisit son paletot et son derby et s’enfuit.

Quand la femme fut seule avec le guide, elle lui montra le billet de $20 sur la table et lui relata la scène qui avait précédé son arrivée.

Jérôme s’empara du $20 et sortit en courant. Il cria à Ouellette qui s’éloignait de venir chercher le billet. Mais Ouellette se garda bien d’obéir.

— Enfin, se dit Fiola, je donnerai cet argent au curé. Il le sanctifiera, lui !

CHAPITRE XIII

LA CEINTURE FLÉCHÉE


— Il a dit s’appeler Onésiphore Ouellette ?

— Oui.

— Il y a plusieurs Ouellette à la Rivière-du-Loup ; mais je n’en connais aucun dont le nom de baptême soit Onésiphore.

Ces dernières paroles avaient été prononcées par le vieillard mystérieux à l’adresse de Jérôme Fiola, le lendemain de la visite de ce dernier chez le curé de Sainte-Blandine.

À bonne heure le matin, le guide n’avait rien eu de plus pressé que de venir raconter au vieillard l’aventure de la veille. Celui-ci s’était fait décrire Onésiphore Ouellette comme il l’avait fait avec Gédéon Lepage.

— Oui, c’est lui, c’est bien lui, avait-il dit nerveusement.

Le vieillard se dirigea vers un coin de la pièce, dans la maisonnette en bois rond et revint vers Jérôme avec une ceinture fléchée. Puis :

— Les Lepage m’ont dit, Fiola, que tu étais l’homme le plus honnête dans le district. Est-ce vrai ?

— Sans me vanter, monsieur, je n’ai jamais volé quoi que ce fût à personne, et cependant j’ai eu bien des occasions de le faire.

— On m’a raconté qu’un jour la femme d’un chasseur perdit une bague sertie de diamants très riches. Tu la trouvas et la lui rendis.

— Oui, c’était Madame Barras qui l’avait perdue.

— Une autre fois, tu ramassas dans le bois un rouleau de billets de banques.

— J’appris qu’ils appartenaient au Dr. Edmond Roy et je les lui rendis.

— Et bien ! Jérôme, j’ai une absolue confiance en toi, et je m’en vais te le prouver.

Puis, élevant la ceinture fléchée à la hauteur de ses yeux, il dit :

— Je tiens en ce moment dans mes mains un objet auquel je tiens presque autant qu’à la vie. Je m’en vais te confier cette ceinture. Fais-y attention comme à la prunelle de tes yeux. Si tu la perdais, je ne serais plus qu’une pauvre loque humaine à la merci de toutes les infortunes.

Jérôme était mystifié :

— Je ne comprends rien de rien, dit-il. Cette ceinture fléchée est de qualité. Mais pourquoi y êtes-vous si attaché, je me le demande ? Enfin, ce n’est qu’un objet qui peut être remplacé pour quelques piastres.

— Écoute, Jérôme, je sais que mes paroles te paraissent étranges.

— Oui, je ne sais si…

— Tu ne sais si je ne suis point fou.

— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

— Détrompe-toi. Je jouis de la plénitude de mes facultés mentales. Laisse-moi te demander de me faire une promesse : celle de ne chercher par aucun moyen à apprendre pourquoi je suis si attaché à cette ceinture fléchée. Promets-tu ?

— Oui.

— Bien, à la bonne heure. Maintenant, Jérôme, ne t’inquiète pas. En temps et lieu, tu connaîtras le secret de la ceinture fléchée. Crois bien que si je m’en sépare, ce n’est qu’à la dernière extrémité, qu’en suprême ressource, parce que je me sens en grand danger.

Jérôme s’empara de la ceinture. Immédiatement, il s’écria :