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LA CEINTURE FLÉCHÉE

clients est voleur, pourquoi venir me l’annoncer ?

Je ne connais rien de cette affaire-là. Quand les gens des villes sont dans le bois, vous savez, ils ont pour principe de se reposer complètement, exclusivement, et ils ne parlent jamais de leurs affaires. Je me demande ce qui vous amène ici, monsieur.

— Laissez-moi continuer, vous allez savoir. Donc, je disais qu’un homme bien connu dans les mondes de la finance et du commerce était sous le coup d’une grave accusation de vol. Eh bien, cet homme est ici !

— Ici !

— Non, non, monsieur, il n’y a que mon mari, moi et les enfants dans la maison, s’écria Madame Fiola.

L’inconnu sourit :

— Par ici, dit-il, j’entends qu’il est dans le district. Si je suis venu vous voir, c’est qu’on m’a dit que vous l’aviez vu.

— Moi, j’ai vu ce voleur ! ah ! bien, non.

— Vous connaissez la rumeur qui circule dans la région à l’effet qu’il y aurait quelque part dans les bois un vieillard mystérieux.

— Oui, oui, fit le guide qui pensa : « Tiens, tiens, encore un autre qui en a au pauvre vieux ! Mais sapristi ! est-ce vrai qu’il est coupable de vol ? Ça compliquerait les choses. »

— Savez-vous où est caché ce vieillard ?

Le guide resta silencieux.

Allait-il dévoiler la cachette du vieux ?

Dans son âme rustre, il se demanda ce qui allait arriver s’il se taisait. Ignorant, illettré, comme tous ceux de sa classe, il avait une peur instinctive de la loi et se figurait qu’on peut être condamné même si on ne fait rien de mal du moment qu’on n’a pas d’argent pour se défendre. Diable ! il était dans une position difficile, périlleuse :

« Je voudrais bien avoir en ma présence les trois ou quatre juges que j’ai conduits dans la forêt, se dit-il. Ils me donneraient d’utiles conseils en ce moment. »

L’étranger insista :

— Votre silence est éloquent, fit-il. Je vois maintenant que vous savez quelque chose, mais qu’il vous répugne de parler. Sans doute le vieillard vous a-t-il fait solennellement promettre de vous taire. Mais, vous savez, je suis détective, et quand je questionne vous êtes obligé de répondre. Ainsi savez-vous où demeure le vieillard dans la forêt ?

Cette seconde fois encore, le guide ne répondit point.

L’autre continua en élevant la voix :

— Vais-je être obligé de vous amener de force à Rimouski devant un juge pour vous faire parler ? Vous devez savoir que j’ai toute l’autorité de le faire. Ainsi répondez.

Jérôme allait obéir quand une lumineuse idée lui traversa le cerveau : si ce détective n’en était pas un, s’il mentait afin de compromettre l’autre. Si c’était un des redoutables ennemis du vieillard que celui-ci craignait tant, il commettrait une gaffe irréparable en parlant. Non, mieux valait se taire.

Il irait voir celui à qui tout le village, tous les villages de la province de Québec vont en cas de besoin, celui qui recevait toujours les gens avec douceur et s’intéressait à leurs récits ; il irait voir monsieur le curé. Oui, c’était bien ça qu’il valait mieux faire. Il dit :

— Monsieur, je ne sais absolument rien de ce que vous me demandez.

— Alors pourquoi avez-vous parlé à d’autres d’un curé à qui le vieillard aurait donné de l’argent ?

— Oh ! ça, c’était un mensonge que je fis malicieusement pour faire taire des commentaires défavorables sur le vieillard.

— Mais vous êtes au courant de la rumeur d’un vieillard mystérieux qui logerait dans la forêt.

— Oui, et c’est tout ce que je sais. Mais vous êtes détective ; je désire vous rendre service. Ainsi je m’en vais partir immédiatement faire des recherches. Et s’il y a un homme dans Sainte-Blandine qui peut découvrir le repaire du vieillard, c’est bien moi ; car je connais tous les recoins de la forêt. Ainsi, attendez-moi ici jusqu’à ce soir. À mon retour, je vous dirai ce que j’aurai appris.


CHAPITRE XI

LES CONSEILS DU CURÉ


Quand Jérôme entra au presbytère, monsieur le curé Brassard était assis dans son cabinet de travail, préparant le prône du dimanche suivant.