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LA CEINTURE FLÉCHÉE

tuée dans l’un des rangs de Sainte-Blandine.

La maison était quelconque. Il y en a des milliers qui lui ressemblent partout, sur le bord des routes, dans la province de Québec.

Philomène accueillit son époux avec une humeur qui eût étonné seulement un célibataire :

— Comment ! tu n’es pas saoul ! Jérôme, s’exclama-t-elle. Où allons-nous faire la croix ! C’est un miracle. Oh ! pardon !

Madame Fiola venait d’apercevoir le jeune étranger. Elle rougit :

— Entrez, entrez, fit-elle.

Elle ajouta, s’adressant à Jacques Martial :

— Excusez-moi, monsieur, mon mari n’est pas un modèle de tempérance.

Jérôme dit en riant :

— Tu devrais pratiquer, toi, la tempérance du langage.

Ils pénétrèrent dans la maison.

Le jeune homme se décapota. Comme il enlevait son paletot, un portrait tomba sur le plancher. Il se précipita pour le ramasser. Mais son geste ne fut pas assez rapide. Jérôme avait déjà le portrait dans ses mains. Après y avoir jeté un coup d’œil furtif, il le remit au jeune homme en réprimant un mouvement de surprise.

Il y avait en effet de quoi surprendre le guide.

Dans le portrait que Jacques Martial venait d’échapper, Jérôme avait reconnu la figure du vieillard mystérieux.

CHAPITRE V

LA FORME BLANCHE


Jérôme Fiola ne laissa rien voir de la surprise qui l’avait envahie à la vue du portrait du vieillard mystérieux. Il se contenta de dire à Jacques Martial :

— Il est inutile de s’attaquer au gros gibier aujourd’hui, je vous l’ai déjà dit. Mais nous pouvons quand même aller vagabonder dans la forêt. Nous tendrons quelques collets aux lièvres. Et puis j’ai placé il y a quelque temps sur le bord du lac à l’Orignal des pièges auxquels des rats-musqués et des visons pourraient bien s’être pris. Si le cœur vous le dit, vous pouvez venir avec moi.

Jacques accepta immédiatement.

Madame Fiola leur prépara un lunch substantiel et ils quittèrent la maison.

Jérôme eût préféré faire la randonnée à pieds. Mais il eut compassion des jambes peu habituées de son hôte et ils partirent confortablement assis dans la traîne sauvage tirée par Cerf-Volant et Pommette.

En route, le guide dit à son compagnon :

— Je regrette d’être obligé de vous fausser compagnie dès demain matin, Monsieur Martial. Mais j’ai promis à un chasseur de le guider dans la forêt.

— Oh ! je ne suis pas particulier sur ce point, mon bon Jérôme. Notre expédition comptera un homme de plus, votre autre client. Nous serons trois. Il y aura plus de plaisir.

Le guide se gratta la tête et continua en hésitant :

— C’est que, dit-il, mon client est particulier, lui. Il veut absolument être seul avec moi.

— Quel ours mal léché ! Comment s’appelle-t-il ? Il est possible que je le connaisse.

Jérôme était perplexe. Il ne voulait pas répondre à la question. D’ailleurs il ne le pouvait pas, car il ignorait le nom du vieillard mystérieux.

— Franchement, dit-il, je dois vous avouer que je ne sais pas comment se nomme ce vieux…

— Ah ! c’est un vieillard !

Un éclair de curiosité s’était allumé dans la prunelle de Jacques.

Jérôme la surprit.

— Vous pouvez me croire, continua-t-il.

Il arrive souvent que je guide dans la forêt des gens dont j’ignore la situation sociale et même le nom. Je ne suis pas curieux. Ils me payent toujours avec des beaux billets de banque. Je n’accepte jamais de chèques. Alors que n’importent les noms !

Jacques resta songeur quelques minutes ; puis il reprit :

— Mais pourquoi ce vieillard fuit-il toute compagnie ? Pourquoi veut-il être seul avec son guide dans la forêt ?

« Me voilà bien pris ! pensa Jérôme. Vais-je dévoiler l’identité du vieillard mystérieux ? non, mille fois non. Mais si je ne parle pas, si je ne lui fournis pas une explication plausible, ce satané jeune homme qui a un portrait intrigant dans ses poches va se douter de quelque chose. Et au diable ! Si je sais ce qui va arriver ensui-