Page:Hume - Œuvres philosophiques, tome 6, 1788.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
326
Essais

il faut que ce soit par des traits frappans, & bien marqués, qui portent une image vive dans l’esprit : c’est ainsi que l’absurde naïveté[1] de Sancho Pança, sous le pinceau inimitable de Cervantes, nous amuse autant que le portrait du héros le plus magnanime, ou celui de l’amant le plus doucereux.

Il en est de même des orateurs, des philosophes, des critiques & de tout auteur qui parle pour lui-même, & sans introduire des interlocuteurs ou des auteurs étrangers, à moins que son langage ne soit élégant, ses observations peu communes, & qu’il ne regne dans ses écrits un goût noble & épuré ; on ne lui tiendra aucun compte du naturel & de la simplicité de son style ; quelque correct qu’il soit, il ne sera pas agréable. Le plus grand malheur pour ces écrivains, c’est qu’on ne prend pas même la peine de les critiquer. Ce qui fait le bonheur de l’homme, ne fait pas la fortune de l’auteur : un état ignoré & tranquille,

  1. M. Hume emprunte ce mot de la Langue Françoise parce que, dit-il, la sienne n’en a point d’équivalent.