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Essais

ible & plus calme : la raison y préside, l’habitude l’affermit : née d’une longue familiarité & d’obligations réciproques, elle ne connoît ni la jalousie, ni la crainte, ni tous ces accès fiévreux de chaud & de froid, qui font le doux tourment des cœurs que l’amour a subjugués. Une affection aussi sobre gagne à être contrainte, loin d’en souffrir, & ne va jamais plus loin, que lorsqu’un grand intérêt, ou la nécessité même a formé le lien, & a engagé deux personnes à fournir la même carriere. Voyons donc lequel des deux doit dominer dans le mariage, si c’est l’amitié ou l’amour. Par-là nous pourrons déterminer si c’est la liberté ou la gêne qui lui convient le mieux.

Les mariages les plus heureux sont assurément ceux où l’amour par un long usage, s’est converti en amitié. Il n’y a qu’un fou qui puisse se figurer des transports & des extases au-delà du premier mois. Les romanciers eux-mêmes, malgré la liberté qu’ils ont de feindre, sont obligés d’abandonner leurs héros à leur jour de noces : ils trou-