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Moraux et Politiques

tredétruisent pas toujours : ils regnent chacun à son tour, & lorsque les circonstances lui sont favorables. L’amour, par exemple, est une passion inquiete & impatiente, pleine de caprices & de variations : elle est l’ouvrage d’un moment : un trait, une physionomie, un rien la fait naître, & un rien l’éteint tout aussi subitement. Une passion de cette nature demande sur toute chose de la liberté : c’est pourquoi Eloïse, pour conserver son amour, eut raison de ne point vouloir épouser son cher Abeilard.

Tu le fait, Abeilard : quand ton ame charmée
Me pressa de subir les loix de l’hymenée :
Non, te dis-je en courroux, je déteste à jamais
Ces liens étrangers que l’amour n’a point faits.
L’amour tremble à l’aspect de la pesante chaîne,
Où veut le retenir la tyrannie humaine :
Cet enfant du plaisir & de la liberté
Demande, comme l’air, un champ illimité ;
Au seul mot de contrainte, il déploie ses ailes,
Et fend des vastes cieux les voûtes éternelles.

[1]

Mais l’amitié est une affection plus pais-

  1. Hou oft, when prest to marriage, have J said,
    Curse on all laws, but those which love has made.
    Love, free as air, at sight of human ties,
    Spreads his light wing, and in amoment flies.

    Tome VI.