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Essais

vent autant de chemin, devient aussi dangereux que si on le confioit au papier. Que dis-je ? Le danger sera d’autant plus grand, que la liberté de penser sera plus gênée, qu’on sera moins en état de poser le pour & le contre, & de distinguer le vrai du faux.

Plus on acquiert d’expérience, plus on le détrompe de cette idée qui représente le peuple comme une hydre formidable, comme un monstre furieux qu’il faut enchaîner. On apprend qu’à tous égards on gagne plus sur les hommes en les guidant par la raison, qu’en les traînant ou en les poussant comme des bêtes. On croyoit autrefois que la tolérance étoit tout-à-fait incompatible avec les maximes du gouvernement : on ne concevoit pas que différentes sectes pussent vivre ensemble en paix, s’aimer les unes les autres, & avoir toutes la même affection pour leur patrie commune : les Provinces-unies, en admettant la liberté religieuse, ont fait revenir le monde de cette erreur : l’Angleterre a donné un exemple pareil par rapport à la liberté civile, & n’a pas eu jusqu’ici sujet de s’en repentir ; car je ne compte pour