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Essais

tance où nous sommes placés par rapport à lui. En effet si le raisonnement ne corrigeoit par les apparences tant à l’égard du sentiment intérieur que pour les sens extérieurs, les hommes ne pourroient jamais parler sur aucun sujet d’une maniere positive : l’état de fluctuation dans lequel nous nous trouvons fait sans cesse changer les objets à nos yeux & les offre sous des points de vûe différens[1].

  1. C’est pour cette raison que dans nos jugemens nous n’avons égard qu’au but où tendent les actions & les caracteres, quoique dans le fond on ne peut s’empêcher d’accorder plus d’estime à un homme que son état met à portée de rendre sa vertu réellement utile à la société, qu’à un autre qui ne peut montrer ses vertus sociales que par de bonnes intentions & par des sentimens de bienveillance. En distinguant, par un effort d’esprit qui n’est point difficile, le caractere de l’état, nous trouverons ces deux hommes égaux en mérite, & nous leur accorderons le même tribut de louanges. C’est le raisonnement qui corrige ou s’efforce de rectifier les apparences, mais il ne peut l’emporter entiérement sur le sentiment. Pourquoi dit-on qu’un pêcher est meilleur qu’un autre, si ce n’est parce qu’il produit de meilleures pêches ? N’en feroit-on pas le même éloge, quand même des insectes auroient détruit son fruit avant son point de maturité ? En