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Essais

donc surprenant qu’un homme, donc les habitudes & la conduite sont nuisibles à la société, & dangereuses pour tous ceux qui ont affaire à lui, devienne par cette raison un objet de blâme, & excite dans tous ceux qui le voient des sentimens d’aversion & de dégoût[1] ?

  1. De ce qu’un objet inanimé peut être utile aussi bien qu’un homme, il ne s’ensuit point que cet objet mérite pour cela d’être appellé vertueux. Les sentimens qu’excite l’utilité de ces deux objets, sont très-différens, l’un est mêlé d’affection, d’estime, d’approbation, &c. dans l’autre, il ne se trouve rien de tout cela. Pareillement un objet inanimé peut-être comme la figure humaine d’une belle couleur, d’une proportion admirable sans que nous en devenions amoureux pour cela ? Il y a une infinité de passions & de sentimens dont, suivant la constitution primitive de la nature, les êtres pensans & raisonnables peuvent seuls être L’objet ; & l’on tenteroit en vain de les produire, en douant un être insensible & inanimé des qualités qui les ont fait naître. Il est vrai que l’on appelle quelquefois vertus les qualités bienfaisantes des plantes & des minéraux, mais cette dénomination n’est due qu’au caprice du langage auquel on ne doit pas avoir égard quand on raisonne ; car quoique l’on accorde une espece d’approbation aux objets inanimés lorsqu’ils sont utiles, ce sentiment est pourtant si foible, & si différent de celui qu’on éprouve, par exemple, pour des magistrats, pour des hommes en place bienfaisans, qu’il ne doit point