Page:Hugues - Alexandre Corréard, de Serres, naufragé de la Méduse.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plusieurs payent de leur vie un instant d’égarement. Les autres se jetèrent alors à nos genoux et nous demandèrent un pardon qui leur fut à l’instant accordé.

« Nous crûmes l’ordre rétabli et nous revînmes à notre poste au centre du radeau ; mais après quelques heures d’une tranquillité apparente, les soldats se soulevèrent de nouveau ; leur esprit était entièrement aliéné. Ils nous attaquèrent, nous les chargeâmes à notre tour et bientôt le radeau fut jonché de cadavres. Ceux de nos adversaires qui n’avaient point d’armes, cherchaient à nous déchirer avec leurs dents, plusieurs de nous furent cruellement mordus. Je le fus moi-même aux jambes et aux épaules. Nous n’étions pas plus de douze ou quinze pour résister à cette troupe de furieux ; mais notre union fit notre force.

« Le jour vint enfin éclairer cette scène d’horreur. Un grand nombre de ces insensés s’était précipité à la mer. Au matin, nous trouvâmes que soixante-cinq hommes avaient péri pendant la nuit. Nous n’avions perdu que deux des nôtres et pas un seul officier.... »

Au cours de cette nuit tragique, un incident s’était produit qui mérite d’être raconté. Pendant une accalmie de la bataille, une voix lamentable s’était fait entendre. C’était celle de la pauvre femme jetée à la mer par les furieux, ainsi que son mari qui l’avait courageusement défendue. Corréard, désespéré de voir périr ces deux infortunés, sauta dans les flots pour en retirer la femme qui ne cessait d’invoquer le secours de Notre-Dame du Laus, tandis que le mari était sauvé par un camarade dévoué. Ces deux malheureux furent assis sur des corps morts et adossés à une barrique. Au bout de quelques instants, ils reprirent leurs sens. Le premier mouvement de la femme fut de s’informer du nom de celui qui l’avait sauvée et de lui en exprimer sa reconnaissance. Ces deux époux, qui s’étaient vus tout à l’heure criblés de coups de sabre et de baïonnette, et précipités dans les flots, en croyaient à peine leurs sens