de blanc, que la femme effleura à peine, le regard déjà loin, comme pour affirmer son indifférence mais que le mari retint captif, un tout petit moment, assez pourtant pour qu’Anne pût y discerner plus qu’une banale attention. Une fois encore leurs yeux se rencontrèrent et cette fois, Anne s’effara comme d’un danger. Elle retira vivement sa main, et dit, d’une voix neutre :
— Bonsoir, Monsieur !
Puis, ils s’effacèrent devant les autres qui demandaient à saluer la conférencière. Ce fut pendant quelques minutes un retour d’ovation, et plus chaleureux et plus passionné que celui de la salle.
Anne Mérival en avait le cœur émotionné. Quelle joie de se sentir forte dans sa faiblesse ! Quelle fierté de se savoir ainsi comprise et aimée, sans une haine sérieuse, tout au plus quelques dépits qui s’affirmeraient plus tard, mais qu’elle n’appréhendait même pas ce soir. Puis quand tout le monde fut parti. Henriette se rapprocha d’elle et l’embrassa chaudement.
Elles s’en allèrent, seules toutes les deux, attendues par le vieux cocher qui les accompagnait souvent dans leurs courses du soir, seules, et si heureuses de leur indépendance, et de leur amitié que rien plus ne leur semblait désirable.
Dans la voiture, les fleurs embaumaient, rappelant le triomphe de ce soir… Anne n’y pensait plus, toute reprise par la pensée des devoirs de demain, et Henriette s’absorbait à son tour dans la préoccupation du concours à affronter.
— Allez doucement, et passez par la rue Sainte-Catherine, fit soudain Anne qui avait encore besoin de lumière et de vie autour d’elle. Et comme Henriette se tournait, surprise de ce souhait exprimé par Anne la sage, elle lui sourit doucement, en expliquant :
— Je crois que je suis un peu grise, ce soir, et il m’en coûtera de rentrer dans ma chambre sombre et froide, d’y rentrer seule. Me voilà déjà gâtée, ma pauvre Henriette par un tout petit succès… je n’ai pas ta force de caractère, vois-tu, et l’encens, moi, cela m’enivre… et le plus fort, c’est que rien n’y paraît, et je suis sûre que personne ce soir ne s’est douté combien j’étais contente, oui, contente…
Toutes deux ne parlèrent plus, toutes à la joie de regarder la foule animée qui sortait des théâtres et des cinémas, se hâtait vers les grands cafés, et les maisons brillantes où l’on se sent attendu. Cette joie leur fit mal pourtant ; personne ne les attendait les deux vaillantes, et elles allaient rentrer dans de petites chambres à peine arrangées, où rien ne vivait de leur vraie pensée, des petites chambres où elles n’arrivaient que le soir, brisées de fatigue et torturées de sommeil
Soudain la grande clarté s’éteignit, la voiture filait maintenant dans une rue triste en profilant son ombre agrandie sur la neige grise. Anne était chez elle. Elle se pencha et embrassa Henriette sur la joue.
Et tandis que la voiture continuait dans la nuit, Anne Mérival montait les deux étages de sa maison. Les corridors étaient sombres. À peine filtrait-il parfois un filet de lumière de quelques portes mal closes. Mais elle avait l’habitude de regagner ainsi sa chambre dans le noir, et elle ne s’effarait nullement de cette obscurité. À tâtons, elle trouva sa porte, et sentit en entrant qu’il n’y faisait pas chaud. Elle frotta une allumette, tourna le gaz, et une faible lumière éclaira une chambre assez grande, mais où rien d’élégant ne dominait. Prestement, elle enleva sa jolie robe rose, défit ses longs cheveux