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livré, si triste que cela soit. Avec votre nature fine et sensible votre docilité et votre faiblesse, votre culture affinée, votre talent discret et sincère, vous serez la femme qu’il adorera de guider amoureusement, et dont il suivra avec ravissement le lumineux sillage… Il aime l’âme limpide et fraîche qui rayonne à travers tout ce que vous écrivez et loin, de vous demander le sacrifice de votre carrière, il vous en favorisera succès. Paul Rambert a pu épouser une femme avant vous, Anne, mais vous serez, vous, sa femme, comprenez-moi bien, et lui, il est vraiment celui qui devait venir sur la terre pour faire votre bonheur. Votre mariage sera donc de ceux de qui l’on dit «  qu’ils sont écrits au ciel. »

Anne exultait à ses paroles qui lui promettaient le paradis sur terre. Et soudain, le remords lui vint de tout ce qu’elle demandait à l’intelligence et à l’âme de cette amie, sans s’inquiéter de ce que ses confidences pouvaient éveiller de mélancolie dans ce cœur qui, pour accoutumé qu’il fût de s’oublier, pouvait tout de même avoir ses instants de révolte :

— Me direz-vous, maintenant, Claire, pourquoi vous êtes si bonne et comment j’ai mérité une amitié telle que la vôtre ? Je vous ai donné si peu… Un jour, vous m’avez sollicitée de réclamer pour la femme des droits auxquels vous-même aspiriez. J’aurais pu appuyer ces revendications : j’ai refusé de les défendre. Loin de m’en vouloir, vous m’avez, depuis, prodigué un dévouement jamais lassé, et chaque fois que vous vous penchez vers moi, c’est pour me verser de l’apaisement et de la joie… Claire, ne demandez-vous rien à la vie pour vous-même ? Pourtant, tout être caresse une pensée, un espoir. Vous, vous devinez le secret des âmes et vous ne demandez jamais à personne la sympathie dont vous devez avoir aussi besoin…

— Non, à personne, mais à Celui-là, fit-elle en désignant le Christ placé à la tête du lit d’Anne.

— Oui, quand la vie est trop dure, je vais à Lui… Très jeune, j’avais rêvé de me faire religieuse. La catastrophe est venue qui a sabré tous mes projets, et m’a donné la tâche que vous savez… Alors j’essaie de faire du bien d’autre façon, et voilà tout.

Voyant que les yeux d’Anne brillaient de larmes, Claire Benjamin, ravissante de résignation conclut :

— Petite fille, que voulez-vous, la vie coûte si cher !


FIN