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et la liberté. Il est mort en souriant, heureux d’offrir sa vie pour le rachat de tous ceux qu’il a vus souffrir, et pour que justice soit faite de leurs infâmes bourreaux.

Il ne faut pas pleurer sur lui qui fut grand, sincère et glorieux, et dont le trépas fut une utile et grande chose. »


Ces lignes, écrites pas Daunois, parurent dans le Patriote de l’Est, en date du 15 novembre 1916 elles entouraient la photographie du jeune légionnaire de vingt-cinq ans Canadien-français qui avait noblement mis sa jeunesse au service de la France, et qui était mort héroïquement pour Elle !





— Que voilà donc une jolie malade, ce matin, fit gaiment Claire Benjamin, en entrant dans la chambre toute fleurie d’Anne Mérival. On dirait que toutes les roses de Noël sont tombées ici… Montrez-moi vos yeux ?… Brillants à souhait… Vos lèvres ?… Roses… Vous ressuscitez, petite Anne, mais ce que vous nous en avez donné des inquiétudes. Enfin, n’y pensons plus, puisque vous voilà guérie !

— Comment vous remercier, Claire, ma grande Claire ? Vous avez été adorable pour moi ! Quelle faible femme je suis de m’être écroulée ainsi, au moment où je pouvais être utile.

— Vous n’en pouviez plus, pauvrette, vos nerfs, exaspérés par le travail et le chagrin, criaient grâce. Cette maladie vous a donné le repos dont vous aviez besoin. Songez que les années de guerre comptent double, et que, pendant plus de deux ans, vous avez apporté aux œuvres de toutes sortes un dévouement de chaque minute. Vous passiez une grande partie de vos nuits à écrire. Vous étiez à bout, quand tous ces événements ont survenu en tourbillon…

— Oui, l’accident de Rambert, la mort de Jean, celle de sa mère… C’était trop, à la fois… J’ai l’impression, que maintenant, je ne pourrai jamais être heureuse… Sans moi, Jean serait toujours là, et sa mère vivrait encore…

— Anne, n’attachez pas à vos actes une telle importance. Nous vivons en des temps qui nous dominent, ne l’oubliez pas. Jean est parti parce qu’il devait partir. Il se serait arraché de vos bras, s’il l’avait fallu, pour voler à la mort glorieuse qui fut la sienne… Jean n’était pas le malheureux que vous avez cru… Lui aussi a connu le grand bonheur… Il l’a donné. Le nom qui monta à ses lèvres, le dernier ne fut pas le vôtre, Anne, mais celui d’une autre… J’ai là des lettres qui vous diront tout et libéreront votre esprit encore asservi à d’imaginaires responsabilités. Tout être ne peut donner que ce qu’il possède. Aussi l’amour que vous n’aviez pas pour Jean, il le trouva miraculeusement dans un autre cœur, et cet amour-là le fit devenir un héros !

Les yeux d’Anne brillaient étrangement :

— Henriette ? interrogea-t-elle.

— Oui, Henriette, à qui ce bonheur était dû… Il y a là des lettres que vous devrez lire pour tout comprendre, — fit-elle en désignant une large enveloppe, — il y a là-dedans le testament de Madame Deschâtelets… Vous savez qu’elle avait prévu que Jean pouvait mourir avant elle, et elle vous instituait alors sa légataire universelle, à quelques restrictions près… Pendant que vous aviez la fièvre, la fortune tombait chez vous… Une lettre du notaire annexée au testament vous apprendra que vous héritez d’une soixantaine de mille dollars… Et vous ne me parlez pas de Rambert, Anne ?… Pourtant, je sais que vous ne m’écoutez plus depuis un moment, et que vous ne pensez qu’à lui…

— Claire, dans ma fièvre, je le voyais partout…

— Et vous l’appeliez tout le temps… Il vous entendait, car il a passé, lui aussi, de longues heures à vous soigner, et tandis que je me reposais, lui vous veillait, en écoutant le délire d’amour qui montait, frémissant vers