Et pourquoi pas ? Toutes les femmes ne peuvent être des épouses et des mères. Quelques-unes sont condamnées au rôle ingrat du célibat. Pourquoi vouloir les retenir dans les besognes infimes et déprimantes quand elles aussi ont du talent et de l’avenir ? Mais si vous saviez combien peu j’envie le rôle dont rêve en effet cette pauvre et vaillante Claire. Instinctivement, voyez-vous, je la plains… Alors, c’est bien que je ne l’envie pas. Oh ! pas, à un point que vous ne pouvez imaginer. J’aurais l’horreur d’être seule dans la vie, de n’avoir ni bras pour m’appuyer, ni cœur pour me recevoir. J’ai un tel besoin de tendresse ! Vous le savez bien, que je suis une toute petite fille qui a besoin d’être aimée, dorlotée, choyée… Le féminisme, oui ! je m’en moque pour moi, mais je ne veux pas que l’on raille ou méprise le courage et l’intelligence de la femme. Je trouve le procédé mesquin, indigne même. Seulement, je serais désolée de voir les projets de Claire Benjamin se développer, et détourner de leur vraie voie, des vocations meilleures et plus simples, plus féminines enfin. Et je ne voudrais pas écrire un seul mot qui soit une invitation à cette vie libre, indépendante si l’on veut, mais privée des joies qui sont toute notre vie, à nous : un foyer un mari, des enfants… Allez, je reste encore bien modeste dans mes prétentions, et je ne suis pas féministe pour deux sous. Seulement le sort a voulu me contraindre à la lutte, et dans cette lutte, je veux user des armes les meilleures pour triompher. Voilà tout, mon ami, et vous êtes cruel quand vous me reprochez, — avec des larmes dans la voix, je le sais bien, — de me révéler à un public. Il ne faut plus que reviennent ces discussions qui me peinent, mais n’entament nullement mon énergie, Jean, nullement. Vous me pardonnerez de vous le dire ainsi, mais j’ai pris vis-à-vis de vous depuis trop longtemps des habitudes de franchise, pour y manquer aujourd’hui. Et je sens absolument, que si par faiblesse, je vous promettais le contraire, je faillirais à ma parole… J’aime que vous priez pour moi, Jean, et que vous évoquiez les heures, où ensemble nous montions vers la petite chapelle… Quels doux moments, nous avons vécus là dans le soir expirant… Et nous y retournerons à la petite chapelle du Cap, nous y retournerons, Jean, porter notre joie et notre dévotion…
« Les grands temples ne vous plaisent pas ? C’est curieux ! Moi, lorsqu’au sortir de mon travail, je vais prier la Vierge de Notre-Dame, je sens une émotion indéfinissable m’étreindre. Quelle grandeur dans le style de cette belle église, quelle majesté dans cette nef si vaste, quelle émotion mystique plane sur tout ce sanctuaire, immense et sombre, où tout est harmonie et splendeur… Non, je ne puis alors regretter notre petite église avec ses statues tout autour, ses cadres naïfs, ses dorures criardes, non ! Mon pauvre Jean, voilà encore que nous ne pensons pas ensemble, mais qu’importe tout cela si nous nous aimons. L’amour n’est-il pas supérieur à toutes les opinions, à toutes les impressions, à toutes les ambitions… Laissons passer les jours, mon ami, demain vous aurez gagné votre place au soleil, et lorsque vous connaîtrez cette joie ineffable du labeur productif, peut-être comprendrez-vous alors de quelle satisfaction une âme de femme peut être soudain inondée… J’aurai connu avant vous cette fierté incomparable d’être le maître de sa vie, ne soyez pas, jaloux de cette avance, Jean. Bientôt vous aurez pour me juger, un esprit tout autre que celui qui vous anime en ce moment, et vous rend sensible maladivement…
« Et puis, il est une chose que je ne veux pas qui se détruise, Jean, une chose sacrée, ma confiance, et si vous ne cessez de vous