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boisée et s’arrête à une haute ruine. Cette ruine, c’est le château de Habsbourg, le berceau de la maison d’Autriche. J’ai regardé longtemps cette tour, d’où s’est envolée l’aigle à deux têtes.

L’Aar, obstrué de rochers, déchire en caps et en promontoires le fond de la vallée. Ce beau paysage est un des grands lieux de l’histoire. Rome s’y est battue, la fortune de Vitellius y a écrasé celle de Galba, l’Autriche y est née. De ce donjon croulant, bâti au onzième siècle par un simple gentilhomme d’Alsace appelé Radbot, découle sur toute l’histoire de l’Europe moderne le fleuve immense des archiducs et des empereurs.

Au nord, la vallée se perd dans une brume. Là est le confluent de l’Aar, de la Reuss et de la Limmat. La Limmat vient du lac de Zurich et apporte les fontes du mont Todi ; l’Aar vient des lacs de Thun et de Brienz, et apporte les cascades du Grimsell ; la Reuss vient du lac des Quatre-Cantons, et apporte les torrents du Rigi, du Windgalle et du Mont-Pilate. Le Rhin porte tout cela à l’Océan.

Tout ce que je viens de vous écrire, ces trois rivières, cette ruine et la forme magnifique des blocs que ronge l’Aar, emplissaient ma rêverie pendant que la voiture descendait au galop vers Brugg. Tout à coup j’ai été réveillé par la manière charmante dont se compose la ville quand on en approche. C’est un des plus ravissants tohu-bohu de toits, de tours et de clochers que j’aie encore vus. Je m’étais toujours promis, si jamais j’allais à Brugg, de faire grande attention à un très ancien bas-relief incrusté dans la muraille près du pont, qui, dit-on, représente une tête de Hun. Comme c’était dimanche, le pont était couvert d’un tas de jolies filles curieuses, souriantes, dans leurs plus beaux atours, si bien que j’ai oublié la tête du Hun.

Quand je m’en suis souvenu, la ville était à une lieue derrière moi.

Avec leur cocarde de rubans sur le front, moins exagérée qu’à Freiburg, leur cuirasse de velours noir traversée de chaînes d’argent et de rangées de boutons, leur cravate de velours à coins brodés d’or serrée au cou comme le gorgeret de fer des chevaliers, leur jupe brune à plis épais et leur mine éveillée, les femmes de Brugg paraissent