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son cheval dressées devant lui. Dans des moments si terribles, ce doit être un grand effort et c’est à coup sûr un grand mérite que de jeter son âme jusqu’à Dieu et son cœur jusqu’à sa maîtresse. C’est ce que faisait dévotement le brave chevalier. Il songeait donc au bon Dieu et à Bauldour, plus encore peut-être à Bauldour qu’au bon Dieu, quand il lui sembla que la lamentation du vent devenait comme une voix et prononçait distinctement ce mot : Heimburg ; en ce moment une grosse torche portée par quelque piqueur traversa le brouillard, et, à la clarté de cette torche, Pécopin vit passer au-dessus de sa tête un milan qui était percé d’une flèche et qui volait pourtant. Il voulut regarder cet oiseau, mais son cheval fit un bond, le milan donna un coup d’aile, la torche s’enfonça dans le bois et Pécopin retomba dans la nuit. Quelques instants après le vent parla encore et dit : Vaugtsberg, une nouvelle lueur illumina le brouillard, et Pécopin aperçut dans l’ombre un vautour dont l’aile était traversée par un javelot et qui volait pourtant. Il ouvrit les yeux pour voir, il ouvrit la bouche pour crier ; mais avant qu’il eût lancé son regard, avant qu’il eût jeté son cri, la lueur, le vautour et le javelot avaient disparu. Son cheval ne s’était pas ralenti une minute et donnait tête baissée dans tous ces fantômes, comme s’il eût été le cheval aveugle du démon Paphos ou le cheval sourd du roi Sisymordachus. Le vent cria une troisième fois et Pécopin entendit cette voix lugubre de l’air qui disait : Rheinstein ; un troisième éclair empourpra les arbres dans la brume, et un troisième oiseau passa. C’était un aigle qui avait une sagette dans le ventre et qui volait pourtant. Alors Pécopin se souvint de la chasse du pfalzgraf où il s’était laissé entraîner, et il frissonna. Mais le galop du genêt était si éperdu, les arbres et les objets vagues du paysage nocturne fuyaient si promptement, la vitesse de tout était si prodigieuse autour de Pécopin que, même en lui, rien ne pouvait s’arrêter. Les apparences et les visions se succédaient si confusément qu’il ne pouvait même fixer sa pensée à ses tristes souvenirs. Les idées passaient dans sa tête comme le vent. On entendait toujours au loin le bruit de la chasse, et par instants le monstrueux cerf de la nuit bramait dans les halliers.