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lamentait, les broussailles sifflaient, les chiens aboyaient, la colossale silhouette noire d’un énorme cerf à seize andouillers apparaissait par instants à travers les branchages et fuyait dans les pénombres et dans les clartés, le cheval de Pécopin soufflait d’une façon terrible, les arbres se penchaient pour voir passer cette chasse et se renversaient en arrière après l’avoir vue, des fanfares épouvantables éclataient par intervalles, puis elles se taisaient tout à coup, et Ton entendait au loin le cor du vieux chasseur.

Pécopin ne savait où il était. En galopant près d’une ruine ombragée de sapins, parmi lesquels une cascade se précipitait du haut d’un grand mur de porphyre, il crut retrouver le château de Nideck. Puis il vit courir rapidement à sa gauche des montagnes qui lui parurent être les Basses-Vosges ; il reconnut successivement à la forme de leurs quatre sommets le Ban-de-la-Roche, le Champ-du-Feu, le Climont et l’Ungersberg. Un moment après il était dans les Hautes-Vosges. En moins d’un quart d’heure son cheval eut traversé le Giromagny, le Rotabac, le Sultz, le Barenkopf, le Graisson> le Bressoir, le Haut-de-Honce, le mont de Lure, la Tête-de-l’Ours, le grand Donon et le grand Ventron. Ces vastes cimes lui apparaissaient pêle-mêle dans les ténèbres, sans ordre et sans lien ; on eût dit qu’un géant avait bouleversé la grande chaîne d’Alsace. Il lui semblait par moments distinguer au-dessous de lui les lacs que les Vosges portent sur leurs sommets, comme si ces montagnes eussent passé sous le ventre de son cheval. C’est ainsi qu’il vit son ombre se réfléchir dans le bain-des-païens et dans le saut-des-cuves, dans le lac Blanc et dans le lac Noir. Mais il la vit comme les hirondelles voient la leur en rasant le miroir des étangs, aussitôt disparue qu’apparue. Cependant, si étrange et si effrénée que fût cette course, il se rassurait en portant la main à son talisman et en songeant qu’après tout il ne s’éloignait pas du Rhin.

Tout à coup une brume épaisse l’enveloppa, les arbres s’y effacèrent, puis s’y perdirent, le bruit de la chasse redoubla dans cette ombre et son genêt d’Espagne se mit à galoper avec une nouvelle furie. Le brouillard était si épais que Pécopin y distinguait à peine les oreilles de