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morte et déserte, quand tout à coup une multitude de rats, pullulant dans la grange brûlée comme les vers dans les ulcères d’Assuérus, sortant de dessous terre, surgissant d’entre les pavés, se faisant jour aux fentes des murs, renaissant sous le pied qui les écrasait, se multipliant sous les pierres et sous les massues, inondèrent les rues, la citadelle, le palais, les caves, les chambres et les alcôves. C’était un fléau, c’était une plaie, c’était un fourmillement hideux. Hatto éperdu quitta Mayence et s’enfuit dans la plaine, les rats le suivirent ; il courut s’enfermer dans Bingen qui avait de hautes murailles, les rats passèrent par-dessus les murailles et entrèrent dans Bingen. Alors l’archevêque fit bâtir une tour au milieu du Rhin et s’y réfugia à l’aide d’une barque autour de laquelle dix archers battaient l’eau ; les rats se jetèrent à la nage, traversèrent le Rhin, grimpèrent sur la tour, rongèrent les portes, le toit, les fenêtres, les planchers et les plafonds, et, arrivés enfin jusqu’à la basse-fosse où s’était caché le misérable archevêque, l’y dévorèrent tout vivant. — Maintenant la malédiction du ciel et l’horreur des hommes sont sur cette tour, qui s’appelle la Maüsethurm. Elle est déserte ; elle tombe en ruine au milieu du fleuve ; et quelquefois la nuit on en voit sortir une étrange vapeur rougeâtre, qui ressemble à la fumée d’une fournaise ; c’est l’âme de Hatto qui revient.

Avez-vous remarqué une chose ? L’histoire est parfois immorale, les contes sont toujours honnêtes, moraux et vertueux. Dans l’histoire volontiers le plus fort prospère, les tyrans réussissent, les bourreaux se portent bien, les monstres engraissent, les Sylla se transforment en bons bourgeois, les Louis XI et les Cromwell meurent dans leur lit. Dans les contes, l’enfer est toujours visible. Pas de faute qui n’ait son châtiment, parfois même exagéré ; pas de crime qui n’amène son supplice, souvent effroyable ; pas de méchant qui ne devienne un malheureux, quelquefois fort à plaindre. Cela tient à ce que l’histoire se meut dans l’infini, et le conte dans le fini. L’homme, qui fait le conte, ne se sent pas le droit de poser les faits et d’en laisser supposer les conséquences ; car il tâtonne dans l’ombre, il n’est sûr de rien, il a besoin de tout borner