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Et elles s’élancèrent hors de la crypte comme trois biches.

Elles n’avaient pas même songé à s’adresser à moi ; j’étais un peu humilié que mon anglais leur eût donné si mauvaise idée de mon latin.

On avait fait jadis sur ce tombeau je ne sais quel scellement qui avait laissé à côté de l’épitaphe une tache de plâtre aplanie à la truelle. Je pris un crayon, et sur cette page blanche j’écrivis cette traduction du distique :


 
Dans la nuit la voix s’est tue.
L’ombre éteignit le flambeau.
Ce qui manque à la statue
Manque à l’homme en son tombeau.


Les jeunes filles étaient à peine parties depuis deux minutes, que j’entendis leur voix crier : Par ici, père ! par ici ! Elles revenaient. J’écrivis en hâte le dernier vers, et, avant qu’elles reparussent, je m’esquivai.

Ont-elles trouvé l’explication que je leur laissais ? je l’ignore ; je me suis enfoncé dans les détours de la ruine et je ne les ai plus revues.

Je n’ai rien su non plus du mystérieux chevalier décapité. Triste destinée ! Quel crime avait donc commis ce misérable ? Les hommes lui avaient infligé la mort, la providence y a ajouté l’oubli. Ténèbres sur ténèbres. Sa tête a été retranchée de la statue, son nom de la légende, son histoire de la mémoire des hommes. Sa pierre sépulcrale elle-même va sans doute bientôt disparaître. Quelque vigneron de Sonneck ou du Ruppertsberg la prendra un beau jour, dispersera du pied le squelette mutilé qu’elle recouvre peut-être encore, coupera en deux cette tombe et en fera le chambranle d’une porte de cabaret. Et les paysans s’attableront, et les vieilles femmes fileront, et les enfants riront autour de la statue sans nom décapitée jadis par le bourreau et sciée aujourd’hui par un maçon. Car de nos jours, en Allemagne comme en France, on utilise les ruines. Avec les vieux palais on fait des cabanes neuves.

Hélas ! les vieilles lois et les vieilles sociétés subissent à peu près la même transformation.