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voir plutôt apparaître au faîte de cette grosse tour presque hindoue le maharadja de Lahore ou le zamorin de Malabar que Louis de Bavière ou Gustave de Suède. Pourtant cette citadelle, plutôt orientale que gothique, a joué un grand rôle dans les luttes de l’Europe. Au moment où je songeais à toutes les échelles qui ont été successivement appliquées aux flancs de cette géante de pierre, et où je me rappelais le triple siège des bavarois en 1321, des suédois en 1632 et des français en 1689, un grimpereau l’escaladait gaiement.

Ce qui a causé l’erreur des antiquaires, c’est une tourelle qui défend la citadelle du côté de la montagne, et qui, ronde au dedans, est armée à son sommet d’un couronnement de mâchicoulis taillé à six pans. Ils ont pris la tourelle pour la tour et le dehors pour le dedans. Du reste, à cette heure matinale, grâce aux vapeurs encore posées et appuyées sur le sol, je ne distinguais que la tête du donjon, la cime des murailles, et à l’horizon, tout autour de moi, la haute crête des collines. À mes pieds, le fond du paysage était caché par une brume blanche et épaisse dont le soleil dorait le bord. On eût dit qu’un nuage était tombé dans la vallée.

Comme sept heures sonnaient dans ce nuage au clocher de Rheindiebach, qui est un hameau au pied de Furstenberg, le grimpereau s’envola et je me levai. Pendant que je descendais, le brouillard montait, et lorsque je parvins au village les rayons du soleil y arrivaient. Quelques instants après, j’avais laissé le village derrière moi, sans même avoir pensé, je l’avoue, à interroger l’écho fameux de son ravin, je cheminais joyeusement le long du Rhin, et j’échangeais un bonjour amical avec trois jeunes peintres qui s’en allaient, eux, vers Bacharach, le sac et le parapluie sur le dos. Toutes les fois que je rencontre trois jeunes gens qui voyagent à pied en mince équipage, allègres d’ailleurs et les yeux rayonnants comme si leur prunelle reflétait les féeries de l’avenir, je ne puis m’empêcher d’espérer pour eux la réalisation de leurs chimères et de songer à ces trois frères, Cadenet, Luynes et Brandes, qui, il y a de cela deux cents ans, partirent un beau matin à pied pour la cour de Henri IV, n’ayant à eux trois qu’un manteau porté par chacun à son tour, et qui, quinze ans