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qu’il ne croit pas. Ceci est du Boileau. Faites-y attention. C’est du Boileau ! (il prononçait tu poilu.) c’est comme leur arbre de Luther ! Je n’ai pas beaucoup plus de respect pour leur arbre de Luther, qu’on voit en allant à Alzey par la pfalzerstrasse, l’ancienne route palatine. Luther ! que me fait Luther ? un voltairien a pitié d’un luthérien. Et quant à leur église de notre-dame, qui est hors de la porte de Mayence, avec son portail des cinq vierges sages et des cinq vierges folles, je ne l’estime qu’à cause de son vignoble, qui donne le vin liebfrauenmilch. Buvez-en, monsieur, il y en a d’excellent dans cette auberge. Ah ! français ! Vous êtes de bons vivants, vous autres ! Et goûtez aussi, croyez-moi, du vin de Katterloch et du vin de Luginsland. Ma foi, rien que pour trois verres de ces trois vins, je viendrais à Worms.

Il s’arrêta pour respirer, et l’un des fumeurs profita de la pause pour dire à son voisin : ― Mon digne monsieur, je ne clos jamais mon inventaire de fin d’année à moins de sept chiffres.

Ceci répondait sans doute à une question que l’autre fumeur lui avait faite avant mon arrivée ; mais deux fumeurs, et deux fumeurs allemands, n’ont jamais souci de presser le dialogue ; la pipe les absorbe ; la conversation va à tâtons, comme elle peut, dans la fumée.

Cette fumée me servit ; mon souper était fini, et, grâce au brouillard des deux pipes, je pus disparaître sans être aperçu, laissant le péroreur aux prises avec les fumeurs, et le dialogue continuer entre les bouffées de paroles et les bouffées de tabac.

On m’installa dans une assez jolie chambre allemande, propre, lavée et froide ; rideaux blancs aux fenêtres, serviettes blanches au lit. Je dis serviettes, vous savez pourquoi ; ce que nous nommons une paire de draps n’existe pas sur les bords du Rhin. Avec cela les lits sont fort grands. Le résultat est le plus bizarre du monde ; ceux qui ont construit les matelas ont prévu des patagons, ceux qui ont coupé le linge ont prévu des lapons. Occasion de philosophie. Le voyageur médiocre et fatigué accepte le temps comme Dieu le lui donne, et le lit comme la servante le lui fait.