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en reviendra. Mais que les tragédies de Racine sont belles ! (il prononçait pelles.) voilà la vraie gloire de la France. On n’apprécie pas Racine en Allemagne ; c’est une terre barbare ; on y aime Napoléon presque autant qu’en France. Ces bons allemands sont bien nommés les bons allemands. Cela fait pitié ; ne le pensez-vous pas, monsieur ?

Comme la fin de mon perdreau coïncidait avec la fin de sa phrase, je répondis en me tournant vers le garçon : une autre assiette.

Cette réponse lui parut suffisante pour lier conversation, et il continua :

— Monsieur a raison de venir à Worms. On a tort de dédaigner Worms. Savez-vous bien, monsieur, que Worms est la quatrième ville du grand-duché de Hesse ? que Worms est chef-lieu de canton ? que Worms possède une garnison permanente, monsieur, et un gymnase, monsieur ? On y fait du tabac, du sucre de Saturne ; on y fait du vin, du blé, de l’huile. Il y a dans l’église luthérienne une belle fresque de Seekatz, ouvrage du bon temps, 1710 ou 1712. Voyez-la, monsieur. Worms a de belles routes bien percées, la route neuve, la gaustrasse, qui va à Mayence par Hessloch, la route du Mont-Tonnerre par le val de Zell. L’ancienne voie romaine qui côtoie le Rhin n’est plus qu’une curiosité. Et quant à moi, monsieur, ― êtes-vous comme moi ? ―je n’aime pas les curiosités. Antiquités, niaiseries. Depuis que je suis à Worms, je n’ai pas encore été voir ce fameux Rosengarten, leur jardin des roses, où leur Sigefroi, à ce qu’ils disent, a tué leur dragon. Folies ! amères bêtises ! Qui est-ce qui croit à ces contes de vieilles femmes après Voltaire ? invention de la prêtraille ! Oh ! triste humanité ! Jusqu’à quand te laisseras-tu mener par des sottises ? Est-ce que Sigefroi a existé ? Est-ce que le dragon a existé ? Avez-vous de votre vie vu un dragon, mon cher monsieur ? Cuvier, le savant Cuvier, avait-il vu des dragons ? D’ailleurs, est-ce que cela est possible ? est-ce qu’une bête, voyons, parlons sérieusement, est-ce qu’une bête peut jeter du feu par le nez et par la gueule ? Le feu désorganise tout ; il commencerait par réduire en cendres, monsieur, l’infortuné animal. Ne le pensez-vous pas ? ce sont de grossières erreurs. L’esprit n’est point ému de ce