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ne cherche pas à effarer le pauvre aubergiste par des semblants d’opulence, par des étalages de paquets, par des encombrements de valises, de portemanteaux, de cartons à chapeau et d’étuis à parapluie, et par de fallacieuses grosses malles qu’on laisse dans les auberges pour répondre de la dépense, et qui ne contiennent le plus souvent que des copeaux et des pavés, du foin et de vieux numéros du Constitutionnel ! Rien qu’un sac de nuit ! c’est quelque prince.

Après cette harangue en un sourire, il souleva joyeusement les bras de sa brouette enfin chargée, et se mit en marche en me disant d’un son de voix doux et caressant : ― Monsieur, par ici !

Chemin faisant, il me parla ; le bonheur l’avait fait loquace. Le pauvre diable vient tous les jours au débarcadère attendre les voyageurs. La plupart du temps le bateau passe sans s’arrêter. À peine y a-t-il un voyageur hors de l’entre-pont pour regarder la silhouette mélancolique que font sur l’horizon splendide du couchant les quatre clochers et les deux aubergistes de Worms. Quelquefois cependant le bateau s’arrête, le signal se fait, le batelier du débarcadère se détache, va au dampfschiff, et revient avec un, deux, trois voyageurs. On en a vu jusqu’à six à la fois ! Oh ! L’admirable aubaine ! Les nouveaux arrivants débarquent avec cet air ouvert, étonné et bête, qui est la joie de l’aubergiste ; mais, hélas ! L’auberge du bord de l’eau les happe et les avale immédiatement. Qui est-ce qui va à Worms ? Qui est-ce qui se doute que Worms existe ? Si bien que mon pauvre homme voit la grande charrette de l’hôtel riverain s’enfoncer sous les arbres toute cahotante et criant sous le poids des malles et des valises, tandis que lui, philosophe pensif, s’en retourne à la lueur des étoiles avec sa brouette vide. De pareilles émotions l’ont maigri ; mais il n’en vient pas moins là chaque jour, avec la conscience du devoir accompli, à ce débarcadère ironique, à cette station dérisoire, regarder l’eau du Rhin couler, les voyageurs passer et l’auberge voisine s’emplir. Il ne lutte pas, il ne s’irrite pas, il ne fait aucune guerre, il ne prononce aucune parole ; il se résigne, il amène sa brouette et il proteste, autant qu’une petite brouette peut