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mélange de tous les poètes qui ont parlé de la lune, depuis Virgile jusqu’à Lemierre. Je l’appelai pâle courrière et reine des nuits, et je la priai de m’éclairer un peu, en lui déclarant effrontément que je sentais que Diane est la sœur d’Apollon, et, me l’étant ainsi rendue favorable suivant le rite classique, je me remis bravement à marcher, ma sacoche au bras, dans la direction du Rhin.

J’avais à peine fait quelques pas, plongé dans une profonde rêverie, lorsqu’un léger bruit m’en tira. Je levai la tête. On a raison d’invoquer les déesses. La lune me permit de voir. Grâce à un rayon horizontal qui commençait à argenter la pointe des folles avoines, je distinguai parfaitement devant moi, à quelques pas, à côté d’un vieux saule dont le tronc ridé faisait une horrible grimace, je distinguai, dis-je, une figure blême et livide, un spectre qui me regardait d’un air effaré.

Ce spectre poussait une brouette.

— Ah ! fis-je, voilà une apparition.

Puis, mes yeux tombant sur la brouette, et le second mouvement succédant au premier :

— Tiens ! dis-je, c’est un portefaix.

Ce n’était ni un fantôme ni un portefaix ; je reconnus le deuxième témoin de mon débarquement sur cette rive jusque-là peu hospitalière, l’homme au visage pâle.

Lui-même, en m’apercevant, avait fait un pas en arrière, et paraissait médiocrement rassuré. Je crus à propos de prendre la parole.

— Mon ami, lui dis-je, notre rencontre était évidemment prévue de toute éternité. J’ai un sac de nuit que je trouve en ce moment beaucoup trop plein, vous avez une brouette tout à fait vide ; si je mettais mon sac sur votre brouette ? hein ? qu’en dites-vous ?

Sur cette rive gauche du Rhin, tout parle et comprend le français, y compris les fantômes. L’apparition me répondit :

— Où va monsieur ?

— Je vais à Worms.

— A Worms ?

— A Worms.