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Vous connaissez G―, ce vieux poète-savant qui prouve qu’un poète peut être patient, qu’un savant peut être charmant et qu’un vieillard peut être jeune. Il marche comme à vingt ans. En avril 183… nous faisions ensemble je ne sais quelle excursion dans le Gâtinais. Nous cheminions côte à côte par une fraîche matinée réchauffée d’un soleil réjouissant. Moi que la vérité charme et que le paradoxe amuse, je ne connais pas de plus agréable compagnie que G―. Il sait toutes les vérités prouvées, et il invente tous les paradoxes possibles.

Je me souviens que sa fantaisie en ce moment-là était de me soutenir que le basilic existe. Pline en parle et le décrit, me disait-il. Le basilic naît dans le pays de Cyrène, en Afrique. Il est long d’environ douze doigts ; il a sur la tête une tache blanche qui lui fait un diadème ; et, quand il siffle, les serpents s’enfuient. La Bible dit qu’il a des ailes. Ce qui est prouvé, c’est que du temps de saint Léon il y eut à Rome, dans l’église de Sainte-Luce, un basilic qui infecta de son haleine toute la ville. Le saint pape osa s’approcher de la voûte humide et sombre sous laquelle était le monstre, et Scaliger dit en assez beau style qu’il l’éteignit par ses prières.

G― ajoutait, me voyant incrédule au basilic, que certains lieux ont une vertu particulière sur certains animaux ; qu’à Sériphe, dans l’Archipel, les grenouilles ne coassent point ; qu’à Reggio, en Calabre, les cigales ne chantent pas ; que les sangliers sont muets en Macédoine ; que les serpents de l’Euphrate ne mordent point les indigènes, même endormis, mais seulement les étrangers ; tandis que les scorpions du Mont-Latmos, inoffensifs pour les étrangers, piquent mortellement les habitants du pays. Il me faisait, ou plutôt il se faisait à lui-même une foule de questions, et je le laissais aller. Pourquoi y a-t-il une multitude de lapins à Mayorque, et pourquoi n’y en a-t-il pas un seul à Yviza ? Pourquoi les lièvres meurent-ils à Ithaque ? D’où vient qu’on ne saurait trouver un loup sur le Mont-Olympe, ni une chouette dans l’île de Crète, ni un aigle dans l’île de Rhodes ?

Et me voyant sourire, il s’interrompait : — Tout beau ! mon cher ; mais ce sont là des opinions d’Aristote ! —