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travers le vacarme. Il y a des émotions ridicules qu’il ne faut pas laisser voir ; pourtant j’avoue que, si j’avais su que faire d’un pauvre petit cochon de lait qu’un boucher emportait devant moi par les deux pieds de derrière et qui ne criait pas, ignorant ce qu’on lui voulait et ne comprenant rien à la chose, je l’aurais acheté et sauvé. Une jolie petite fille de quatre ans, qui comme moi le considérait avec compassion, semblait m’y encourager du regard. Je n’ai pas fait ce que cet œil charmant me disait, j’ai désobéi à ce doux regard, et je me le reproche. — Une superbe et grandiose enseigne dorée, soutenue par une grille en potence, la plus belle et la plus riche du monde, composée de tous les emblèmes du corps des bouchers et surmontée de la couronne impériale, domine et complète cette magnifique écorcherie digne de Paris au moyen-âge, devant laquelle, à coup sûr, se fussent ébahis Calatagirone au quinzième siècle et Rabelais au seizième.

De l’écorcherie on débouche dans une place de grandeur médiocre, digne de la Flandre et qui mériterait d’être célébrée et admirée, même après le Vieux-Marché de Bruxelles. C’est une de ces places-trapèzes autour desquelles tous les styles et tous les caprices de l’architecture bourgeoise au moyen-âge et à la renaissance se dressent représentés par des maisons-modèles où, selon l’époque et le goût, l’ornementation a tout employé avec un à-propos prodigieux, l’ardoise comme la pierre, le plomb comme le bois. Chaque devanture a sa valeur à part et concourt en même temps à la composition et à l’harmonie générale de la place. À Francfort comme à Bruxelles, deux ou trois maisons neuves, de l’aspect le plus bête et qui ont l’air de deux ou trois imbéciles dans une assemblée de gens d’esprit, gâtent l’ensemble de la place et rehaussent la beauté des vieux édifices voisins. Une merveilleuse masure du quinzième siècle, composée je ne sais pour quel usage d’une nef d’église et d’un beffroi d’hôtel-de-ville, remplit de sa superbe et élégante silhouette un des côtés du trapèze. Vers le milieu de la place, à des endroits quelconques que n’a évidemment désignés aucune symétrie, ont germé, comme deux buissons vivaces, deux fontaines, l’une de la renaissance, l’autre du dix-huitième siècle. Sur ces deux