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dans un labyrinthe de maisons neuves fort laides et de jardins fort beaux, lorsque je suis arrivé tout à coup à l’entrée d’une rue singulière. ― Deux longues rangées parallèles de maisons noires, sombres, hautes, sinistres, presque pareilles, mais ayant cependant entre elles ces légères différences dans les choses semblables qui caractérisent les bonnes époques d’architecture ; entre ces maisons toutes contiguës et compactes et comme serrées avec terreur les unes contre les autres, une chaussée étroite, obscure, tirée au cordeau ; rien que des portes bâtardes surmontées d’un treillis de fer bizarrement brouillé ; toutes les portes fermées ; au rez-de-chaussée rien que des fenêtres garnies d’épais volets de fer ; tous ces volets fermés ; aux étages supérieurs, des devantures de bois presque partout armées de barreaux de fer ; un silence morne, aucun chant, aucune voix, aucun souffle, par intervalles le bruit étouffé d’un pas dans l’intérieur des maisons ; à côté des portes un judas grillé à demi entr’ouvert sur une allée ténébreuse ; partout la poussière, la cendre, les toiles d’araignées, l’écroulement vermoulu, la misère plutôt affectée que réelle ; un air d’angoisse et de crainte répandu sur les façades des édifices ; un ou deux passants dans la rue me regardant avec je ne sais quelle défiance effarée ; aux fenêtres des premiers étages, de belles jeunes filles parées, au teint brun, au profil busqué, apparaissant furtivement, ou des faces de vieilles femmes au nez de hibou, coiffées d’une mode exorbitante, immobiles et blêmes derrière la vitre trouble ; dans les allées des rez-de-chaussée, des entassements de ballots et de marchandises ; des forteresses plutôt que des maisons, des cavernes plutôt que des forteresses, des spectres plutôt que des passants. — J’étais dans la rue des Juifs, et j’y étais le jour du sabbat.

À Francfort il y a encore des juifs et des chrétiens ; de vrais chrétiens qui méprisent les juifs, de vrais juifs qui haïssent les chrétiens. Des deux parts on s’exècre et l’on se fuit. Notre civilisation, qui tient toutes les idées en équilibre et qui cherche à ôter de tout la colère, ne comprend plus rien à ces regards d’abomination qu’on se jette réciproquement entre inconnus. Les juifs de Francfort vivent dans leurs lugubres maisons, retirés dans des