Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/132

Cette page n’a pas encore été corrigée

journées ; aujourd’hui cinq quarts d’heure les séparent, ou plutôt les rapprochent. Entre la ville impériale et la ville électorale, notre civilisation a jeté ce trait d’union qu’on appelle un chemin de fer. Chemin de fer charmant, qui côtoie le Mein par instants, qui traverse une verte, riche et vaste plaine, sans viaducs, sans tunnels, sans déblais ni remblais, avec de simples assemblages de bois sous les rails ; chemin de fer que les pommiers ombragent paternellement ainsi qu’un sentier de village ; qui est livré, sans fossés ni grilles, de plain-pied, à la bonhomie saturnienne des gamins allemands, et tout le long duquel il semble qu’une main invisible vous présente l’un après l’autre les vergers, les jardins et les champs cultivés, les retirant ensuite en hâte et les enfonçant pêle-mêle au fond du paysage comme des étoffes dédaignées par l’acheteur.

Francfort et Mayence sont, comme Liège, d’admirables villes dévastées par le bon goût. Je ne sais quelle propriété corrosive ont l’architecture blafarde, les colonnades de plâtre, les églises-théâtres et les palais-guinguettes ; mais il est certain que toutes les pauvres vieilles cités fondent et se dissolvent rapidement dans ces affreux tas de maisons blanches. J’espérais voir à Mayence le Martinsburg, résidence féodale des électeurs-archevêques jusqu’au dix-septième siècle ; les français en avaient fait un hôpital, les hessois l’ont rasé pour agrandir le port-franc. Quant à l’hôtel des marchands, bâti en 1317 par la fameuse ligue des cent villes, splendidement décoré des statues de pierre des sept électeurs portant leurs blasons, au-dessus desquels deux figures colossales soutenaient l’écu de l’empire, on l’a démoli pour faire une place. Je comptais me loger vis-à-vis, dans cette hôtellerie des Trois-Couronnes ouverte dès 1360 par la famille Cleemann, à coup sûr la plus ancienne auberge de l’Europe ; je m’attendais à une de ces hôtelleries comme en décrit le chevalier de Gramont, avec l’immense cheminée, la grande salle à piliers et à solives, dont le mur n’est qu’un vitrage maillé de plomb, et au dehors la borne à monter sur mule. Je n’y suis pas même entré. La vieille auberge-Cleemann est à présent une espèce de faux hôtel-Meurice, avec des rosaces en carton-pierre aux plafonds, et aux fenêtres ce