Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/124

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on voit frissonner les voiles ; les colombes volent autour de l’église ; le fleuve miroite, le ciel pâlit ; un rayon de soleil horizontal empourpre au loin la poussière sur la route ducale de Rudesheim à Biberich et fait étinceler de rapides calèches qui semblent fuir dans un nuage d’or portées par quatre étoiles. Les laveuses du Rhin étendent leur toile sur les buissons ; les laveuses de la Nähe battent leur linge, vont et viennent, jambes nues et les pieds mouillés, sur des radeaux formés de troncs de sapins amarrés au bord de l’eau, et rient de quelque touriste qui dessine l’Ehrenfels. La tour des Rats, présente et debout au milieu de cette joie, fume dans l’ombre des montagnes.

Le soleil se couche, le soir vient, la nuit tombe, les toits de la ville ne font plus qu’un seul toit, les monts se massent en un seul tas de ténèbres où s’enfonce et se perd la grande clarté blanche du Rhin. Des brumes de crêpe montent lentement de l’horizon au zénith ; le petit dampschiff de Mayence à Bingen vient prendre sa place de nuit le long du quai vis-à-vis de l’hôtel Victoria ; les laveuses, leurs paquets sur la tête, s’en retournent chez elles par les chemins creux ; les bruits s’éteignent, les voix se taisent ; une dernière lueur rose, qui ressemble au reflet de l’autre monde sur le visage blême d’un mourant, colore encore quelque temps, au faîte de son rocher, l’Ehrenfels pâle, décrépit et décharné. — Puis elle s’efface, — et alors il semble que la tour de Hatto, presque inaperçue deux heures auparavant, grandit tout à coup et s’empare du paysage. Sa fumée, qui était sombre pendant que le jour rayonnait, rougit maintenant peu à peu aux réverbérations de la forge, et, comme l’âme d’un méchant qui se venge, devient lumineuse à mesure que le ciel devient noir.

J’étais, il y a quelques jours, sur la plate-forme du Klopp, et, pendant que toute cette rêverie s’accomplissait autour de moi, j’avais laissé mon esprit aller je ne sais où, quand Une petite croisée s’est subitement ouverte sur un toit au-dessous de mes pieds, une chandelle a brillé, une jeune fille s’est accoudée à la fenêtre, et j’ai entendu une voix claire, fraîche, pure, — la voix de la