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par une espèce de corridor, j’ai débouché tout à coup sur une assez grande place parfaitement obscure et déserte. Là, j’ai eu un magnifique spectacle. Devant moi, sous la lueur fantastique d’un ciel crépusculaire, s’élevait et s’élargissait, au milieu d’une foule de maisons basses à pignons capricieux, une énorme masse noire, chargée d’aiguilles et de clochetons ; un peu plus loin, à une portée d’arbalète, se dressait isolée une autre masse noire, moins large et plus haute, une espèce de grosse forteresse carrée, flanquée à ses quatre angles de quatre longues tours engagées, au sommet de laquelle se profilait je ne sais quelle charpente étrangement inclinée qui avait la figure d’une plume gigantesque posée comme sur un casque au front du vieux donjon. Cette croupe, c’était une abside ; ce donjon, c’était un commencement de clocher ; cette abside et ce commencement de clocher, c’était la cathédrale de Cologne.

Ce qui me semblait une plume noire penchée sur le cimier du sombre monument, c’était l’immense grue symbolique que j’ai revue le lendemain bardée et cuirassée de lames de plomb, et qui, du haut de sa tour, dit à quiconque passe que cette basilique inachevée sera continuée, que ce tronçon de clocher et ce tronçon d’église, séparés à cette heure par un si vaste espace, se rejoindront un jour et vivront d’une vie commune ; que le rêve d’Engelbert de Berg, devenu édifice sous Conrad de Hochstetten, sera dans un siècle ou deux la plus grande cathédrale du monde ; et que cette Iliade incomplète espère encore des Homères.

L’église était fermée. Je me suis approché du clocher ; les dimensions en sont énormes. Ce que j’avais pris pour des tours aux quatre angles, c’était tout simplement le renflement des contre-forts. Il n’y a encore d’édifiés que le rez-de-chaussée et le premier étage, composé d’une colossale ogive, et déjà la masse bâtie atteint presque à la hauteur des tours de Notre-Dame de Paris.

Si jamais la flèche projetée se dresse sur ce monstrueux billot de pierre, Strasbourg ne sera rien à côté. Je doute que le clocher de Malines lui-même, inachevé aussi, soit assis sur le sol avec cette carrure et cette ampleur.

Je l’ai dit ailleurs, rien ne ressemble à une ruine comme