Page:Hugo Rhin Hetzel tome 1.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rond, large et écrasé ; l’autre haut, svelte et quadrangulaire. Le second beffroi est une belle construction du quatorzième siècle. Le premier est tout simplement la fameuse tour de Granus, qu’on a peine à reconnaître sous l’étrange clocher contourné dont elle est coiffée. Ce clocher, qui se répète plus petit sur l’autre tour, semble une pyramide de turbans gigantesques de toutes les formes et de toutes les dimensions, mis les uns sur les autres et décroissant selon un angle assez aigu. Au bas de la façade se développe un vaste escalier composé comme l’escalier de la cour du Cheval-Blanc à Fontainebleau. Vis-à-vis, au centre de la place, une fontaine de marbre de la renaissance, quelque peu retouché et refaite par le dix-huitième siècle, supporte au-dessus d’une large coupe d’airain la statue de Charlemagne armé et couronné. À droite et à gauche, deux autres fontaines plus petites portent à leur sommet deux aigles noirs effarouchés et terribles, à demi tournés vers le grave et tranquille empereur.

C’est là, sur cet emplacement, dans cette tour romaine peut-être, qu’est né Charlemagne.

Cette fontaine, cette façade, ces beffrois, tout cet ensemble est royal, mélancolique et sévère. Charlemagne est encore là tout entier. Il résume dans sa puissante unité les disparates de cet édifice. La tour de Granus rappelle Rome sa devancière ; la façade et les fontaines rappellent Charles-Quint, le plus grand de ses successeurs. Il n’y a pas jusqu’à la figure orientale du beffroi qui ne vous fasse vaguement songer à ce magnifique calife Haroun-al-Raschid, son ami.

Le soir approchait, j’avais passé toute ma journée en présence de ces grands et austères souvenirs, il me semblait que j’avais sur moi la poussière de dix siècles ; j’éprouvais le besoin de sortir de la ville, de respirer, de voir les champs, les arbres, les oiseaux. Cela m’a conduit hors d’Aix-la Chapelle, dans de fraîches allées vertes où je suis resté jusqu’à la nuit, errant le long des vieilles murailles. Aix-la-Chapelle a encore sa ceinture de tours. Vauban n’a point passé par là. Seulement les souterrains, qui allaient des chambres basses de l’hôtel de ville et des caveaux de la Chapelle jusqu’à l’abbaye de Borcette et même jusqu’à Limbourg, sont aujourd’hui comblés et perdus.