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aux lettres carolo magno, elles n’ont pas plus de cent ans.

Charlemagne n’est plus sous cette pierre. En 1166, Frédéric Barberousse, dont cette lampe-couronne, si magnifique qu’elle soit, ne rachète pas le sacrilège, fit déterrer le grand empereur. L’église a pris le squelette impérial et l’a dépecé comme saint, pour faire de chaque ossement une relique. Dans la sacristie voisine, un vicaire montre aux passants, et j’ai vu pour trois francs soixante-quinze centimes, prix fixe, le bras de Charlemagne, ce bras qui a tenu la boule du monde, vénérable ossement qui porte sur ses téguments desséchés cette inscription écrite pour quelques liards par un scribe du douzième siècle : Brachium sancti Caroli magni. Après le bras, j’ai vu le crâne, ce crâne qui a été le moule de toute une Europe nouvelle, et sur lequel un bedeau frappe avec l’ongle.

Ces choses sont dans une armoire.

Une armoire de bois peinte en gris avec filets d’or, ornée à son sommet de quelques-uns de ces anges pareils à des amours dont je parlais tout à l’heure, voilà aujourd’hui le tombeau de ce Charles qui rayonne jusqu’à nous à travers dix siècles, et qui n’est sorti de ce monde qu’après avoir enveloppé son nom, pour une double immortalité, de ces deux mots, sanctus, magnus, saint et grand, les deux plus augustes épithètes dont le ciel et la terre puissent couronner une tête humaine !

Une chose qui étonne, c’est la grandeur matérielle de ce crâne et de ce bras ; grandia ossa. Charlemagne, en effet, était un de ces très rares grands hommes qui sont aussi des hommes grands. Le fils de Pépin le Bref était colosse par le corps comme par l’intelligence. Il avait en hauteur sept fois la longueur de son pied, lequel est devenu mesure. C’est ce pied de roi, ce pied de Charlemagne, que nous venons de remplacer platement par le mètre, sacrifiant ainsi d’un seul coup l’histoire, la poésie et la langue à je ne sais quelle invention dont le genre humain s’était passé six mille ans et qu’on appelle système décimal.

L’ouverture de cette armoire cause du reste une sorte d’éblouissement, tant elle est resplendissante d’orfèvreries. Les battants en sont couverts à l’intérieur de peintures sur fond d’or, parmi lesquelles j’ai remarqué huit admirables