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HERNANI.

Certes, ils étaient bien là, les deux beaux jeunes hommes !
C’est égal. Je devais n’en pas croire mes yeux.
Mais que veux-tu, ma pauvre enfant ? quand on est vieux !

Doña Sol, immobile et grave.

Vous reparlez toujours de cela. Qui vous blâme ?

Don Ruy Gomez.

Moi ! J’eus tort. Je devais savoir qu’avec ton âme
On n’a point de galants lorsqu’on est doña Sol,
Et qu’on a dans le cœur de bon sang espagnol.

Doña Sol.

Certes, il est bon et pur, monseigneur, et peut-être
On le verra bientôt.

Don Ruy Gomez, se levant et allant à elle.

On le verra bientôt.Écoute, on n’est pas maître
De soi-même, amoureux comme je suis de toi,
Et vieux. On est jaloux, on est méchant, pourquoi ?
Parce que l’on est vieux. Parce que beauté, grâce,
Jeunesse, dans autrui, tout fait peur, tout menace.
Parce qu’on est jaloux des autres, et honteux
De soi. Dérision ! que cet amour boiteux
Qui nous remet au cœur tant d’ivresse et de flamme,
Ait oublié le corps en rajeunissant l’âme !
— Quand passe un jeune pâtre, — oui, c’en est là ! — souvent,
Tandis que nous allons, lui chantant, moi rêvant,
Lui dans son pré vert, moi dans mes noires allées,
Souvent je dis tout bas : — Ô mes tours crénelées,
Mon vieux donjon ducal, que je vous donnerais,
Oh ! que je donnerais mes blés et mes forêts,
Et les vastes troupeaux qui tondent mes collines,
Mon vieux nom, mon vieux titre et toutes mes ruines,
Et tous mes vieux aïeux qui bientôt m’attendront,
Pour sa chaumière neuve, et pour son jeune front ! —
Car ses cheveux sont noirs ; car son œil reluit comme