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Scène II


DON CARLOS, seul.

Charlemagne, pardon ! ces voûtes solitaires
Ne devraient répéter que paroles austères.
Tu t’indignes sans doute à ce bourdonnement
Que nos ambitions font sur ton monument.
— Charlemagne est ici ! Comment, sépulcre sombre,
Peux-tu sans éclater contenir si grande ombre ?
Es-tu bien là, géant d’un monde créateur,
Et t’y peux-tu coucher de toute ta hauteur ?
— Ah ! c’est un beau spectacle à ravir la pensée,
Que l’Europe, ainsi faite, et comme il l’a laissée !
Un édifice, avec deux hommes au sommet,
Deux chefs élus auxquels tout roi né se soumet.
Presque tous les états, duchés, fiefs militaires,
Royaumes, marquisats, tous sont héréditaires,
Mais le peuple a parfois son pape ou son césar,
Tout marche, et le hasard corrige le hasard.
De là vient l’équilibre, et toujours l’ordre éclate.
Électeurs de drap d’or, cardinaux d’écarlate,
Double sénat sacré, dont la terre s’émeut,
Ne sont là qu’en parade, et Dieu veut ce qu’il veut.
Qu’une idée, au besoin des temps, un jour éclose,
Elle grandit, va, court, se mêle à toute chose,
Se fait homme, saisit les cœurs, creuse un sillon ;
Maint roi la foule aux pieds ou lui met un bâillon ;
Mais qu’elle entre un matin à la diète, au conclave,
Et tous les rois soudain verront l’idée esclave,
Sur leurs têtes de rois que ses pieds courberont,