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île. Ce qui manque peut-être à cette Albion toute à son affaire, et parfois regardée de travers par les autres peuples, c’est de la grandeur désintéressée ; Shakespeare lui en donne. Il jette cette pourpre sur les épaules de sa patrie. Il est cosmopolite et universel par la renommée. Il déborde de toutes parts l’île et l’égoïsme. Otez Shakespeare à l’Angleterre et voyez de combien va sur-le-champ décroître la réverbération lumineuse de cette nation. Shakespeare modifie en beau le visage anglais. Il diminue la ressemblance de l’Angleterre avec Carthage.

Signification étrange de l’apparition des génies ! Il n’est pas né un grand poëte à Sparte, il n’est pas né un grand poëte à Carthage. Cela condamne ces deux villes. Creusez et vous trouvez ceci : Sparte n’est que la ville de la logique ; Carthage n’est que la ville de la matière ; à l’une et à l’autre l’amour fait défaut. Carthage immole ses enfants par le glaive et Sparte sacrifie ses vierges par la nudité ; l’innocence est tuée ici, et la pudeur là. Carthage ne connaît que ses ballots et ses caisses ; Sparte se confond avec la loi ; c’est là son vrai territoire ; c’est pour les lois qu’on meurt aux Thermopyles. Carthage est dure. Sparte est froide. Ce sont deux républiques à fond de pierre. Donc pas de livres. L’éternel semeur qui ne se trompe jamais n’a