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Le comte d’Onate, qui l’aime aussi, la garde
Et comme un majordome et comme un amoureux
Quel reître, une nuit, gardien peu langoureux,
Pourrait bien, frère, avant que ton bouquet se fane,
Te le clouer au cœur d’un coup de pertuisane. —
Mais quelle idée ! aimer la reine ! ah çà, pourquoi ?
Comment diable as-tu fait ?

Ruy Blas, avec emportement.

Comment diable as-tu fait ? Est-ce que je sais, moi !
— Oh ! mon âme au démon ! je la vendrais pour être
Un des jeunes seigneurs que, de cette fenêtre,
Je vois en ce moment, comme un vivant affront,
Entrer, la plume au feutre et l’orgueil sur le front !
Oui, je me damnerais pour dépouiller ma chaîne,
Et pour pouvoir comme eux m’approcher de la reine
Avec un vêtement qui ne soit pas honteux !
Mais, ô rage ! être ainsi, près d’elle ! devant eux !
En livrée ! un laquais ! être un laquais pour elle !
Ayez pitié de moi, mon dieu !

Se rapprochant de don César.

Ayez pitié de moi, mon dieu ! Je me rappelle.
Ne demandais-tu pas pourquoi je l’aime ainsi,
Et depuis quand ?… — Un jour… — Mais à quoi bon ceci ?
C’est vrai, je t’ai toujours connu cette manie !
Par mille questions vous mettre à l’agonie !
Demander où ? comment ? quand ? pourquoi ? Mon sang bout !
Je l’aime follement ! Je l’aime, voilà tout !