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Il se tourne brusquement vers Gudiel.

Ah ! C’est un coup de foudre !… — oui, mon règne est passé,
Gudiel ! — renvoyé, disgracié, chassé ! —
Ah ! tout perdre en un jour ! — L’aventure est secrète
Encor, n’en parle pas. — Oui, pour une amourette,
— Chose, à mon âge, sotte et folle, j’en conviens ! —
Avec une suivante, une fille de rien !
Séduite, beau malheur ! parce que la donzelle
Est à la reine, et vient de Neubourg avec elle,
Que cette créature a pleuré contre moi,
Et traîné son enfant dans les chambres du roi ;
Ordre de l’épouser. Je refuse. On m’exile !
On m’exile ! Et vingt ans d’un labeur difficile,
Vingt ans d’ambition, de travaux nuit et jour ;
Le président haï des alcades de cour,
Dont nul ne prononçait le nom sans épouvante ;
Le chef de la maison de Bazan, qui s’en vante ;
Mon crédit, mon pouvoir, tout ce que je rêvais,
Tout ce que je faisais et tout ce que j’avais :
Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s’écroule
Au milieu des éclats de rire de la foule !

Gudiel.

Nul ne le sait encor, monseigneur.

Don Salluste.

Nul ne le sait encor, monseigneur.Mais demain !
Demain, on le saura ! — Nous serons en chemin !
Je ne veux pas tomber, non, je veux disparaître !