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partie, à cette troupe si intelligente et si bien faite, de hautes destinées attendent, nous n’en doutons pas, ce magnifique théâtre, déjà aussi royal qu’aucun des théâtres royaux, et plus utile aux lettres qu’aucun des théâtres subventionnés.

Quant à nous, pour nous borner aux rôles principaux, félicitons M. Féréol de cette science d’excellent comédien avec laquelle il a reproduit la figure chevaleresque et gravement bouffonne de don Guritan. Au dix-septième siècle, il restait encore en Espagne quelques Don Quichottes malgré Cervantes. M. Féréol s’en est spirituellement souvenu.

M. Alexandre Mauzin a supérieurement compris et composé don Salluste. Don Salluste, c’est Satan, mais c’est Satan grand d’Espagne de première classe ; c’est l’orgueil du démon sous la fierté du marquis ; du bronze sous de l’or ; un personnage poli, sérieux, contenu, sobrement railleur, froid, lettré, homme du monde, avec des éclairs infernaux. Il faut à l’acteur qui aborde ce rôle, et c’est ce que tous les connaisseurs ont trouvé dans M. Alexandre, une manière tranquille, sinistre et grande, avec deux explosions terribles, l’une au commencement, l’autre à la fin.

Le rôle de don César a naturellement eu beaucoup d’aventures dont les journaux et les tribunaux ont entretenu le public. En somme, le résultat a été le plus heureux du monde. Don César a fort cavalièrement pris au boulevard et fort légitimement donné à la comédie un bien qui lui appartenait, c’est-à-dire le talent vrai, fin, souple, charmant, irrésistiblement gai et singulièrement littéraire de M. Saint-Firmin.

La reine est un ange, et la reine est une femme.