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Ce n’est rien, c’est aisé. Mais rompre cette trame !
Deviner… — deviner ! car il faut deviner ! —
Ce que cet homme a pu construire et combiner !
Il sort soudain de l’ombre et puis il s’y replonge,
Et là, seul dans sa nuit, que fait-il ? — Quand j’y songe,
Dans le premier moment je l’ai prié pour moi !
Je suis un lâche, et puis c’est stupide ! — eh bien quoi !
C’est un homme méchant. — Mais que je m’imagine
— La chose a sans nul doute une ancienne origine, —
Que lorsqu’il tient sa proie et la mâche à moitié,
Ce démon va lâcher la reine, par pitié
Pour son valet ! Peut-on fléchir les bêtes fauves ?
— Mais, misérable, il faut pourtant que tu la sauves !
C’est toi qui l’as perdue ! à tout prix ! il le faut !
— C’est fini. Me voilà retombé ! De si haut !
Si bas ! j’ai donc rêvé ! — Ho ! je veux qu’elle échappe !
Mais lui ! par quelle porte, ô Dieu, par quelle trappe,
Par où va-t-il venir, l’homme de trahison ?
Dans ma vie et dans moi, comme en cette maison,
Il est maître. Il en peut arracher les dorures.
Il a toutes les clefs de toutes les serrures.
Il peut entrer, sortir, dans l’ombre s’approcher,
Et marcher sur mon cœur comme sur ce plancher.
— Oui, c’est que je rêvais ! Le sort trouble nos têtes
Dans la rapidité des choses sitôt faites. —
Je suis fou. Je n’ai plus une idée en son lieu.
Ma raison, dont j’étais si vain, mon Dieu ! mon Dieu !
Prise en un tourbillon d’épouvante et de rage,
N’est plus qu’un pauvre jonc tordu par un orage !
Que faire ? Pensons bien. D’abord empêchons-la