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Cent fois, depuis six mois que ton regard m’évite…
— Mais non, je ne dois pas dire cela si vite.
Je suis bien malheureuse. Oh ! je me tais, j’ai peur !

Ruy Blas, qui l’écoute avec ravissement.

Ô madame ! achevez ! vous m’emplissez le cœur !

La Reine.

Eh bien, écoute donc !

Levant les yeux au ciel.

Eh bien, écoute donc ! — Oui, je vais tout lui dire.
Est-ce un crime ? Tant pis. Quand le cœur se déchire,
Il faut bien laisser voir tout ce qu’on y cachait. —
Tu fuis la reine ? Eh bien, la reine te cherchait !
Tous les jours je viens là, — là, dans cette retraite, —
T’écoutant, recueillant ce que tu dis, muette,
Contemplant ton esprit qui veut, juge et résout,
Et prise par ta voix qui m’intéresse à tout.
Va, tu me sembles bien le vrai roi, le vrai maître.
C’est moi, depuis six mois, tu t’en doutes peut-être,
Qui t’ai fait, par degrés, monter jusqu’au sommet.
Où Dieu t’aurait dû mettre une femme te met.
Oui, tout ce qui me touche a tes soins. Je t’admire.
Autrefois une fleur, à présent un empire !
D’abord je t’ai vu bon, et puis je te vois grand.
Mon Dieu ! c’est à cela qu’une femme se prend !
Mon Dieu ! si je fais mal, pourquoi, dans cette tombe,
M’enfermer, comme on met en cage une colombe,
Sans espoir, sans amour, sans un rayon doré ?
— Un jour que nous aurons le temps, je te dirai