Page:Hugo - Ruy Blas, édition 1839.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pourquoi donc étiez-vous, comme eût été Dieu même,
Si terrible et si grand ?

Ruy Blas.

Si terrible et si grand ?Parce que je vous aime !
Parce que je sens bien, moi qu’ils haïssent tous,
Que ce qu’ils font crouler s’écroulera sur vous !
Parce que rien n’effraie une ardeur si profonde,
Et que pour vous sauver, je sauverais le monde !
Je suis un malheureux qui vous aime d’amour.
Hélas ! je pense à vous comme l’aveugle au jour.
Madame, écoutez-moi. J’ai des rêves sans nombre.
Je vous aime de loin, d’en bas, du fond de l’ombre ;
Je n’oserais toucher le bout de votre doigt,
Et vous m’éblouissez comme un ange qu’on voit !
— Vraiment, j’ai bien souffert. Si vous saviez, madame !
Je vous parle à présent. Six mois, cachant ma flamme,
J’ai fui. Je vous fuyais et je souffrais beaucoup.
Je ne m’occupe pas de ces hommes du tout,
Je vous aime. — Ô mon dieu ! j’ose le dire en face
À votre majesté. Que faut-il que je fasse ?
Si vous me disiez : Meurs ! je mourrais. J’ai l’effroi
Dans le cœur. Pardonnez !

La Reine.

Dans le cœur. Pardonnez !Oh ! Parle ! ravis-moi !
Jamais on ne m’a dit ces choses-là. J’écoute !
Ton âme, en me parlant, me bouleverse toute.
J’ai besoin de tes yeux, j’ai besoin de ta voix.
Oh ! c’est moi qui souffrais ! Si tu savais ! cent fois,