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paris à vol d’oiseau.

lique. Cela prouve d’ailleurs qu’on peut être un beau génie et ne rien comprendre à un art dont on n’est pas. Molière ne croyait-il pas faire beaucoup d’honneur à Raphaël et à Michel-Ange en les appelant : ces Mignards de leur âge ?

Revenons à Paris et au quinzième siècle.

Ce n’était pas alors seulement une belle ville ; c’était une ville homogène, un produit architectural et historique du moyen âge, une chronique de pierre. C’était une cité formée de deux couches seulement, la couche romane et la couche gothique, car la couche romaine avait disparu depuis long-temps, excepté aux Thermes de Julien, où elle perçait encore la croûte épaisse du moyen âge. Quant à la couche celtique, on n’en trouvait même plus d’échantillons en creusant des puits.

Cinquante ans plus tard, lorsque la renaissance vint mêler à cette unité si sévère et pourtant si variée le luxe éblouissant de ses fantaisies et de ses systèmes ; ses débauches de pleins-cintres romains, de colonnes grecques et de surbaissements gothiques, sa sculpture si tendre et si idéale, son goût particulier d’arabesques et d’acanthes, son paganisme architectural contemporain de Luther, Paris fut peut-être plus beau encore, quoique moins harmonieux à l’ail et à la pensée. Mais ce splendide moment dura peu : la renaissance ne fut pas impartiale ; elle ne se contenta pas d’édifier, elle voulut jeter bas : il est vrai qu’elle avait besoin de place. Aussi le Paris gothique ne fut-il complet qu’une minute. On achevait à peine Saint-Jacques-de-la-Boucherie qu’on commençait la démolition du vieux Louvre.

Depuis, la grande ville a été se déformant de jour en jour. Le Paris gothique, sous lequel s’effaçait le Paris roman, s’est effacé à son tour ; mais peut-on dire quel Paris l’a remplacé !

Il y a le Paris de Catherine de Médicis, aux Tuileries[1] ; le Paris de Henri II, à l’Hôtel-de-Ville, deux édifices encore d’un grand goût ; le Paris de Henri IV, à la place Royale : façades de briques à coins de pierre et à toits d’ardoise, des maisons tricolores ; le Paris de Louis XIII, au

  1. Nous avons vu avec une douleur mêlée d’indignation qu’on songeait à agrandir, á refondre, à remanier, c’est-à-dire, à détruire cet admirable palais. Les architectes de nos jours ont la main trop lourde pour toucher à cette délicate œuvre de la renaissance. Nous espérons toujours qu’ils ne l’oseront pas. D’ailleurs, cette démolition des Tuileries maintenant ne serait pas seulement une voie de fait brutale dont rougirait un Vandale ivre, ce serait un acte de trahison. Les Tuileries ne sont plus simplement un chef-d’œuvre de l’art du seizième siècle, c’est une page de l’histoire du dix-neuvième siècle. Ce palais n’est plus au roi, mais au peuple. Laissons-le tel qu’il est. Notre révolution l’a marqué deux fois au front. Sur l’une de ses deux façades, il a les boulets du 10 août ; sur l’autre, les boulets du 29 juillet. Il est saint.
    Paris, 7 avril 1831.
    Note de la cinquième édition.