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dentelles gothiques, pour la plus grande gloire du Parthénon. C’est le coup de pied de l’âne au lion mourant. C’est le vieux chêne qui se couronne, et qui, pour comble, est piqué, mordu, déchiqueté par les chenilles.

Qu’il y a loin de là à l’époque où Robert Cenalis, comparant Notre-Dame de Paris à ce fameux temple de Diane à Éphèse, tant réclamé par les anciens païens, qui a immortalisé Érostrate, trouvait la cathédrale gauloise « plus excellente en longueur, largeur, hauteur et structure[1]! »

Notre-Dame de Paris n’est point, du reste, ce qu’on peut appeler un monument complet, défini, classé. Ce n’est plus une église romane, ce n’est pas encore une église gothique. Cet édifice n’est pas un type. Notre- Dame de Paris n’a point, comme l’abbaye de Tournus, la grave et massive carrure, la ronde et large voûte, la nudité glaciale, la majestueuse simplicité des édifices qui ont le plein-cintre pour générateur. Elle n’est pas, comme la cathédrale de Bourges, le produit magnifique, léger, multiforme, touffu, hérissé, efflorescent de l’ogive. Impossible de la ranger dans cette antique famille d’églises sombres, mystérieuses, basses, et comme écrasées par le plein-cintre ; presque égyptiennes au plafond près, toutes hiéroglyphiques, toutes sacerdotales, toutes symboliques ; plus chargées, dans leurs ornements, de losanges et de zigzags que de fleurs, de fleurs que d’animaux, d’animaux que d’hommes, œuvre de l’architecte moins que de l’évêque ; première transformation de l’art, tout empreinte de discipline théocratique et militaire, qui prend racine dans le Bas-Empire, et s’arrête à Guillaume-le-Conquérant. Impossible de placer notre cathédrale dans cette autre famille d’églises hautes, aériennes, riches de vitraux et de sculptures ; aiguës de formes, hardies d’attitudes ; communales et bourgeoises, comme symboles politiques ; libres, capricieuses, effrénées, comme œuvre d’art ; seconde transformation de l’architecture, non plus hiéroglyphique, immuable et sacerdotale, mais artiste, progressive et populaire, qui commence au retour des croisades, et finit à Louis XI. Notre-Dame de Paris n’est pas de pure race romane, comme les premières ; ni de pure race arabe, comme les secondes.

C’est un édifice de la transition. L’architecte saxon achevait de dresser les premiers piliers de la nef, lorsque l’ogive, qui arrivait de la croisade, est venue se poser en conquérante sur ces larges chapiteaux romans qui ne devaient porter que des pleins-cintres. L’ogive, maîtresse dès lors, a construit le reste de l’église. Cependant, inexpérimentée et timide à son

  1. Histoire gallicane, liv. II, périoche 3e, fo 130, p. 1.